arrive-t-il d'un pays lointain, ce volatile au regard éteint. (eulalie)

caractère ◇ fascinée au point que bien des êtres puissent la trouver fascinante. avec ses grands yeux qui effleurent les choses, comme la caresse d'une main timide, eulalie peut se trouver absorbée par la contemplation des choses. contemplative et émotive, elle se nourrit d'une couleur, d'un son, d'une odeur, y puise des inspirations quotidiennes qui définissent son rapport aux autres, son état d'esprit, son humeur du jour. sensible, c'est un mot qui lui correspond sans pour autant parvenir à la définir : là où eulalie ressent parfois très fort, elle ne sombre pas : elle est comme ce radeau fait de bois flotté, qui se laisse porter au gré des marées, parfois loin par delà le large. elle se coule le long des jours avec lenteur et retenue, et parfois avec la ferveur d'une passion immédiate ; un peu indolente, elle se joue de cette image de jeune pousse, mais reste capable de beaucoup de tenacité lorsqu'il s'agit de défendre ce en quoi elle croit. on la juge souvent naïve, parfois presque hors du temps : c'est avant tout une idéaliste-née, une absolue dans sa recherche de beauté.

place en société ◇ il y a eu deux vies dans la pauvre petite vie d'eulalie. bien que la jeune femme n'ait jamais connu d'autre condition que celle du prolétariat le plus total, il lui semble parfois que le prolétariat n'a pas le même poids lorsqu'il est porté sur des épaules brunes. sur sa terre natale, il était une histoire d'amitié : on se lie à sa condition sociale comme à une vieille amie, un destin partagé de tous. il y naît les plus belles histoires, les romances et les peines. il se fait léger parfois, lorsque la nature se rebelle, et offre à ses habitants des abondances rares. mais depuis quatre ans qu'eulalie vit à paris, elle a le sentiment que son prolétariat la poursuit, comme une ombre froide, qu'il lui colle à la peau, la rendant moite et austère. elle dépérit un peu loin du soleil. elle ne cherche pourtant pas à s'élever ailleurs qu'elle est : elle n'a toujours vu la vie que comme cet immense horizon vers lequel naviguer.

réputation ◇ c'est dans un cercle restreint qu'évolue la jeune rose de cayenne, du nom de cette fleur délicate, toute en circonvolutions, qu'on ne trouve presque que sur son île. là où certains diraient qu'elle tourne en rond, eulalie sait qu'en vérité elle se préserve, des regards inquisiteurs, des dangers d'un monde un peu trop sordide pour ses idéaux verts. c'est au contact de la diaspora qu'elle a d'abord trouvé ici des marqueurs rassurants  : quelques mains chaudes et tendues, qui l'ont menée à un refuge. un refuge exulté des uns, exécré des autres. celui de l'apollonide, là où les âmes solitaires finissent leur course, comme des étoiles filantes en fin de vie. là où l'amour se mue en un jeu tendre. "fille de joie"de cette métaphore qui lui colle si bien à la peau, eulalie est très appréciée de ses clients, un groupuscule hétéroclite et généreux d'hommes et de femmes qui constituent une base fidèle, protectrice. on l'emmène souvent voir l'ailleurs, au théâtre, à l'opéra. elle parvient ainsi à se couper le plus souvent d'un monde extérieur trop glaçant pour elle, où les mauvaises âmes veulent faire taire ses passions, ses revendications d'une terre plus pure, d'un autre rapport à la nature. eulalie sait que dehors quelques ombres la guettent, attendent d'elle qu'elle trébuche. alors elle couve discrètement ses petites ambitions, sort sous l'égide de ses protecteurs, et avance ainsi sur le chemin d'une nature retrouvée.

lieu(x) fréquenté(s) ◇ elle qui autrefois pouvait flâner des heures durant à attendre la disparition du soleil derrière une ligne d'horizon coupante comme un rasoir, reste aujourd'hui entièrement dévolue aux lieux qui la protègent et l'entourent d'une aura de douceur. il sera donc aisé de la trouver jupons froissés sur les fauteuils de l'apollonide, les yeux perdus dans le vague d'un moment suspendu ou absorbés par la lecture d'un ouvrage de piètre qualité. elle ne sortira que mue par la nécessité de se nourrir, pour faire quelques menus achats. et parfois on la verra qui se pare, flamboyante, de tenues élaborées. c'est alors qu'elle sortira le nez au bras d'une amante ou d'un amant fortuné, invitée d'un dîner ou d'une représentation, des moments hors du temps qui servent parfois de couverture à ses activités parallèles.

journée type ◇ alors qu'eulalie s'éveille chaque jour obstinément à la même heure, elle ne sait que trop peu souvent ce qu'elle en fera vraiment. et pourtant elle est là, chaque matin à huit heures trente, grignotant un frugal petit déjeuner le nez collé à la fenêtre, à tenter de dissiper les vapeurs de la veille et à profiter du silence d'un jour à peine né. si aucun de ses clients n'a réclamé la matinée, alors il arrive qu'elle sorte parfois quelques heures, un large chapeau par dessus ses yeux tristes, pour arpenter boutiques et bouquinistes en quête d'un peu de distraction. l'après-midi, le devoir la ramène à l'apollonide, elle y passe des heures longues dans des bras divers, des heures qui lui font du bien, la sortent de ce monde. elle s'y transforme en fumée, se fait sinueuse et légère, elle virevolte là où le vent la porte. aux premières heures de la nuit cessent généralement ses amours, et elle s'accorde alors, suivant l'occasion, un repos solitaire bien mérité, ou une sortie mondaine bien entourée.

rapport au vif argent ◇ elle était si jeune lorsque pour la première fois le nom de "vif-argent" est parvenu à ses oreilles. là d'où elle vient eulalie, la vie éternelle est promise par une plage blanche, par le chant des quelques oiseaux qui s'accrochent à leur existence, par le parfum des fleurs qui éclosent dans les matinées de printemps. durant dix-neuf années de son existence eulalie aura vécu dans ce rapport distancié aux différents métaux, loin des certitudes et des obsessions des habitants de la métropole, loin de cette frénésie d'éternité. elle garde aujourd'hui ce regard lointain, ne s'y intéressant que peu. mais depuis peu, elle est prise par un sentiment double, celui de l'empathie envers un peuple désordonné qui s'accroche au moindre espoir et, d'un autre côté, celui d'une haine qui grandit envers ces marchands de rêve qui peuplent l'imaginaire des enfants de sottises mercuriennes. pour elle, là n'est pas la question, face à la disparition du vivant.

spiritualité ◇ il n'y a aucun dieu ni aucune entité autre que celle de la vie en laquelle elle croit. mais si mère nature se fondait en une divinité, alors c'est à genoux qu'eulalie passerait sa vie, mains dans cette terre stérile qu'elle désespère de voir vivre. elle est une pousse débutante au royaume des arbres morts et c'est là qu'elle place sa foi : dans ce qu'elle nomme le vivant, ce grand ensemble qui cherche à retrouver son oxygène et qui l'anime, quotidiennement. elle aime profondément l'être et la matière, le chaud, les coeurs qui battent encore. les humains, bien sûr, mais aussi les animaux, plantes, organismes sont autant de preuves de spiritualité à ses yeux.