il me suffit d’entendre le bruit de leurs pas _ auguste

caractère ◇ Sous le front ombrageux hérité de son père, les souvenirs tissent encore des rêves exquis qui trahissent une âme qui demeure versée dans l’aventure. Auguste songe souvent à ces jours perdus, et ce dans le plus invincible des silences. Il a hérité tant d’amertume de ces inflexions contrariées que depuis, il les dissimule soigneusement. À le souvent fréquenter, vous ne noteriez qu’une nature polie, méticuleuse, que l’on reconnaît chez les amoureux de la musique classique. Car la musique classique n’accepte ni les à peu près, ni les incartades. Fleurissent cependant, derrière ses fins sourires, les dessins piquants d’une ironie toujours prégnante. Le monde s’y peint tel qu’il est, surtout lorsque l’interlocuteur fait partie du privé, sans ces concessions qui finissent par user le plus sérieux des sujets de l’empire. Il s’anime surtout lorsque les harmonies rencontrent les échos de ces mots qu’il continue de coucher sur le papier mais qu’il interdit à toute publication.
place en société ◇ Les grands-parents furent de petits bourgeois, les parents ont su s’élever surtout par l’entremise du père. Oscar Dubreuil est connu dans toute l'intelligentsia parisienne actuelle pour avoir édifié leur marmaille au-dessus du commun en leur donnant des cours de solfège mais également ce don unique qu’est un esprit bien fait et une voix bien placée. Répétiteur réputé auprès des chanteurs d’opéra, Dubreuil père ne s’arrêtait pas aux notes s’agitant sur de simples portées, il était également précepteur dans toutes les bonnes familles de la capitale, dès lors qu’il s’agissait d’histoire des arts, de littérature ou encore de géographie. Ce côté touche à tout, il l’a transmis à son fils dès la plus tendre enfance, et Auguste occupe, depuis la retraite fort ombrageuse de son père, la position qu’il revêtait, et fréquente donc un milieu éminemment bien loti. Il est également connu pour arpenter les couloirs tortueux de l’opéra Garnier, car il y suit avec assiduité ses élèves, les soutient et continue de les conseiller, surtout lorsqu’il faut les abandonner à la tyrannie d’un metteur en scène. Mélomane convaincu, baignant dans des matières qui à l’aune d’une ère de plus en plus tournée vers la mécanique apparaissent désuètes, il chérit toutefois cette sphère qui permet encore à la haute société de rêver à des ailleurs le temps d’une représentation.
réputation ◇ Outre cette bonne réputation acquise à force de travail, d’aucuns diraient à force de résilience (du moins c’est ainsi qu’Auguste le pense), certains mauvais esprits se souviennent pour peu qu’ils soient encore de ce monde du scandale qui entoura la jeunesse du fils unique des Dubreuil. l’on murmure qu’il abandonna sa promise aux portes de l’église mais l’on connaît les langues vipérines qui enjolivent toujours les histoires à sensation. L’église aurait été pour dans quatre mois au moment des faits, mais il est vrai qu’Auguste embarqua sur le zeppelin de plaisance, bien nommé l’Alexandre, en direction de la Guyane et qu’on ne le revit qu’une année plus tard dans les rues de Paris. Sans doute nullement une coïncidence. Hormis ce peu de fidélité envers une jeune femme dont on taira ici le nom, Auguste passe surtout pour ce bon parti que l’on ne parvient guère à enchaîner à une alliance. Les années passent et il ne semble nullement vouloir s’engager, alors on invente des maladies ou encore un caractère qui serait moins aimable que celui que l’on voit. La vérité c’est simplement que son attachement va à celle qu’il considère comme son amie d’enfance. Et qui est un peu plus que cela.
lieu(x) fréquenté(s) ◇ S’il n’est ni dans l’hôtel particulier des Dubreuil, rue d’Hauteville, et invisible dans quelque alcôve de l'opéra Garnier, on le retrouvera sans doute aucun dans des déambulations qui l’emmènent à braver le smog pour mieux écouter son aria, et rejoindre le quai où accostent les zeppelins. Il se dit parfois qu’il disparaîtra dans l’un d’eux, comme autrefois. Il aime à passer du temps dans les salons littéraires, même s’il s’y fait de plus en plus rare dernièrement, depuis que pour les hautes autorités de la communication de l’Empire, sa voix s’élève dans les rues par les divers phonographes du centre ville, histoire d’élancer les mots du pouvoir. Afin d'échapper au monde, il entretient alors sa soif de connaissances au sein de la bibliothèque Mazarine, où il lit autant qu’il écrit.
journée type ◇ Auguste se partage entre sa vie mondaine, et sa vie de répétiteur. Les deux sont souvent intimement liées, car les familles qui l’emploient aiment à exhiber ceux qui travaillent pour elles. Toutefois il est entièrement dédié aux élèves qu’il forme, et c’est avec application qu’il suit leurs répétitions, leurs grandes premières, ou leurs représentations. S'il faut improviser un cours autant pour soutenir un moral en berne que pour parfaire une technique à la dernière minute, il se prêtera alors volontiers à un aménagement de son emploi du temps. Ses quelques loisirs finissent toujours par des soirées où il s'applique devant son piano, à manier un don qui ne l'aura jamais quitté, et à déchiffrer les livrets des opéras qui se montent chaque trimestre, pour en saisir l'essence musicale et la transposer, afin de toujours accompagner au mieux les répétitions. En fin de semaine il tente d'intéresser son père à quelque sortie mais il rencontre de moins en moins de succès depuis que la vieillesse ternit son caractère et que la réclusion dans ses appartements le plonge dans la mélancolie.
rapport au vif argent ◇ Son esprit romanesque le pousse à croire en des vertus qui apparaissent aux yeux de quelqu’un de si peu cartésien comme une incursion magique au milieu de la grisaille. Depuis sa prime jeunesse, il s’est intéressé aux compte-rendus de recherche qu’il pouvait feuilleter à la bibliothèque. Il se souvient même avec émotion lorsque son père, encore animé par la jovialité qui semble avoir déserté depuis son caractère, l’a mené à une exposition universelle qui présentait les diverses applications du vif argent sur les instruments de musique. Ils ont découvert ce jour-là des orchestres qui suivaient seuls leurs partitions, des violes, des harpes, des claviers automates, et tout ce que le mercure permettait de placer sous le rang de cette nouvelle ingénierie qui confinait au sacré. Auguste en conçoit depuis un intérêt professionnel, qui cache en réalité une attention bien plus personnelle. Louise Dubreuil, sa mère, souffreteuse suite à son retour de couches, n’a pu voir que sa santé décliner au fil acéré des années, et sa jeunesse se faner dans des afflictions du coeur de plus en plus graves. La médecine ne pouvant la sauver, Oscar s’est fait acquéreur de vif argent d’une manière la moins louable qui soit parfois, et son fort piètre sens des affaires n’a pu le protéger des roublards qui lui vendirent pour mercure d’autres métaux aux mêmes reflets. Auguste s’est raconté lorsqu’il avait neuf ans qu’il irait quérir la substance convoitée aux confins du monde s’il le fallait. L’histoire et son ironie voulut que justement, alors qu’il visitait les entrailles d’un filon en Guyane, Louise mourut sans revoir son fils qu’elle chérissait tant. Aujourd’hui, le sort s’acharne car le fil d’une vie qui l’enchante semble une nouvelle fois suspendu aux caprices de l’alchimie. Alors à la fascination de jadis se substitue une amertume de plus en plus prégnante envers ce qui pourrait être une bien fausse idole.
spiritualité ◇ Si ses lectures l’ont ouvert à un monde paré de divinités absolues, le sort a fixé les croyances d’Auguste sur un néant qui se confond à la grisaille de Paris. Dieu est mort, voilà ce que clamât un jour l’Empire et il le croit sincèrement. La seule chose qui puisse encore émouvoir son âme, c’est ce semblant d’éternité que l’oeuvre musicale peut tisser. Si une seule chose pouvait combattre les ténèbres en ce monde, ce serait l’inflexion d’une voix, le silence que saurait creuser la plus élégante des ritournelles, ou bien peut-être ce point d’orgue qui demeurerait suspendu pour auréoler le front de l’humanité une toute dernière fois. Notre répétiteur croit dans le pouvoir des notes, en la sonorité des mots. Que les dieux désertent un théâtre où seuls les hommes peuvent encore construire des épopées, quelle importance ?