VICTORINE.

Chronologie

●● 1895 – 0 an. Naissance de Victorine Delisle.
Fille d'Eugène Delisle et de sa première femme, Louise, Victorine est fille unique, enfant longtemps désirée et priée. Arrivée sur le tard, elle est protégée par ses parents, choyée comme un trésor. Très vite, la fillette montre une intelligence vive, couplée à une curiosité peu orthodoxe. Un pourquoi, mal articulé, un peu écorché, est son premier mot - et devient l'anecdote favorite de ses parents dès qu'on parle des exploits intellectuels de leur progéniture. Louise Delisle est femme au foyer, s'occupant de Victorine et de la maison tandis qu'Eugène, négociant en produits exotiques, est sans cesse en voyage à l'étranger pour faire le tour des comptoirs possédés par l'entreprise familiale.

●● 1900 – 5 ans. Rencontre avec Alphonse Maignan.
Victorine est une enfant au caractère facile et doux mais qui s'ennuie vite dans les jeux de son âge. Sa curiosité qui amuse les adultes ne lui vaut pas que des amies. Les autres filles refusent de jouer avec elle quand elle propose d'ouvrir le ventre des poupées pour regarder dedans ou quand elle propose d'écraser les fleurs fraîchement cueillies pour faire un herbier. Quand son amie, la duchesse Maignan, lui évoque les difficultés qu'elle a avec son fils, il ne faut pas longtemps aux deux femmes pour organiser une première rencontre, puis une seconde. Très vite, et malgré le tempérament dur du garçon, Alphonse devient son compagnon de jeu favori.

●● 1903-04 – 8-9 ans. Maladie de Louise Delisle.
Progressivement, l'état de Louise se détériore, elle est de plus en plus fatiguée, sa santé se fragilise - elle met cela sur le compte d'une fausse couche récente. Mais, en milieu d'année, un malaise la convainc de consulter le médecin de famille. Après de nombreux examens, le couperet tombe : Louise Delisle est atteinte de leucémie, le sang est déjà empoisonné, vicié et ils lui donnent encore quatre ans à vivre. Les docteurs prétendent pouvoir allonger son espérance de vie, et peut-être même la guérir, en utilisant cette nouvelle technique de radiations pour éradiquer la tumeur. Il suffira de deux années pour que les médecins mènent une Louise dépérissante au tombeau.

●● 1905 – 10 ans. Victorine intègre la fondation Genia.
Esprit aussi brillant que studieux, elle fait des merveilles, récolte les éloges de ses professeurs. La jalousie de ses camarades fait partie de son quotidien, mais Victorine s'en préoccupe peu au final, pas vraiment touchée par leurs mesquineries. Elle a encore l'esprit hanté par les derniers jours de sa mère agonisante, se promet que la petitesse des autres ne l'empêchera pas de sauver les gens de la maladie et de la dégénérescence du corps. Elle est fascinée par les recherches sur le vif argent et les promesses qu'il porte.

●● 1907 – 12 ans. Eugène tombe malade d'une sévère angine de poitrine.
Bien que la maladie parte après plusieurs jours, elle laisse des séquelles qui obligent Eugène à déléguer une partie de son activité à ses employés tandis qu'il alterne son temps entre du repos à Paris et des cures thermales en province. Cette année où il est cloué en France, voit père et fille se rapprocher.

●● 1908 – 13 ans. L'amour déclaré entre Alphonse et Victorine se vit au grand jour.
L'avenir s'annonce plein de promesses, et bien qu'elle soit encore trop jeune pour y réfléchir sérieusement, elle finit par croire (à force d'entendre les adultes) que ce bonheur entre ses mains, c'est pour toujours. Qu'Alphonse sera toujours à ses côtés, que Père restera auprès d'elle et que son avenir professionnel est radieux.

●● 1909 – 14 ans. Remariage de son père.
Sa belle-mère n'est pas une personne affreuse en soi et malgré son jeune âge (20 ans), Esther fait de son mieux pour s'occuper de Victorine. Mais exubérante mondaine au grand cœur, elle est à l'opposé de sa défunte mère et les atomes crochus entre elle et Victorine sont, pour ainsi dire, inexistants.

●● 1911-12 – 16 ans. Rupture avec Alphonse.
Le bonheur s'effondre pour un arrangement marital, parce que les Maignan trouvent qu'elle n'est pas assez pour leur fils. Amertume et colère sont cependant ravalés quand elle découvre le nom de la fiancée, Cécile de Lancastre, une amie à elle. Il ne reste que des cendres au milieu des morceaux épars de son cœur brisé. Sur les conseils avisés de sa belle-mère à son père, Victorine disparaît à l'étranger pour la fin de l'été jusqu'à la rentrée scolaire. Par amitié pour Alphonse et pour Cécile, elle parvient à donner le change et à leur souhaiter tout ce bonheur qu'elle n'est plus certaine de trouver pour elle-même.
Au début de l'année 1912, leur mariage a lieu quelques jours avant son propre anniversaire. Victorine ne dit rien, sourit et fait bonne figure auprès aux mariés - quand on lui demande si ça ne la dérange pas, elle prétend que de toute façon, elle cherchait une excuse pour ne pas le fêter, elle n'a plus le temps pour ces imbécilités. Depuis cette année, elle ne fête plus son anniversaire (et déteste qu'on insiste pour qu'elle le célèbre).

●● 1914 – 19 ans. Naissance d'Albert Maignan.
Cela fait plusieurs années qu'elle est plongée dans ses études. Jeune prodige que les laboratoires de recherche veulent s'arracher, elle choisit son premier travail dans l'office d'un chimiste renommé qui devient son mentor. Là-bas, elle y rencontre Camille Archambault, jeune et ambitieux avocat qui accompagne de ses conseils juridiques les projets engagés. D'abord indifférente à ses avances, elle finit par accepter un rendez-vous après avoir accepté de devenir la marraine d'Albert, le premier fils d'Alphonse. (Qu'espérais-tu ? Qu'à force de perdre ses enfants, il lâche sa femme pour toi ? est la provocation lancée par Esther pour convaincre Victorine)

●● 1916-21 – 21-26 ans. Mariage avec Camille Archambault
De rendez-vous en invitations, elle accepte de devenir madame Victorine Archambault. Les épousailles se déroulent bien dans un premier temps. Puis le ton monte à mesure que la frustration de monsieur grandit de ne pas réussir à avoir un enfant. Les reproches vont bon train quand tombe le diagnostic : Victorine est stérile. Blessé et triste, Camille l'accuse d'avoir trop travaillé, d'avoir trop risqué avec ses études du vif argent; d'avoir négligé sa santé - bref, d'avoir gâché leurs chances d'avoir un enfant. Victorine le congédie aussitôt. Le voisinage se souvient encore d'avoir vu voler les chemises de monsieur par la fenêtre.

●● 1926 – 31 ans. Mort d'Eugène Delisle.
L'angine de poitrine avait laissé ses poumons affaiblis, et Eugène ne survit pas à la tuberculose, malgré que le séjour balnéaire à la compagne qu'il a accepté sous la pression d'Esther. Un cousin, formé depuis des années par son père, hérite de l'affaire familiale, tout en laissant à Esther de quoi vivre confortablement, bien qu'avec les années, son train de vie se soit grandement assagi. Ce n'est pas à mon âge qu'on va courir les jeunes hommes, plaisante-t-elle : encore qu'avec la grisaille dans laquelle ils ont grandi, ils s'essoufflent sûrement plus vite que moi.

●● 1927 – 32 ans. Aboutissement de ses recherches sur les aninomates.
Le succès est retentissant et Victorine est anoblie comtesse de Lisle par Sa Majesté Céleste. Au sein de l'ordre du mercure qu'elle intègre dès sa création, elle a une place de choix, auréolée du respect des autres alchimistes. Sa décision mène à une dispute avec Alphonse. Cette même année, elle profite de l'augmentation de ses revenus pour déménager dans un hôtel particulier sur les bords de Seine.

●● 1929 – 34 ans. Exposition universelle à Paris.
Durant cette Exposition, la seconde génération d'aninomates se voit chaleureusement félicitée, acclamée par la foule internationale. Elle rencontre à cette occasion un lord anglais, féru de mécanique et d'ingénierie, avec lequel elle se met en couple. L'histoire dure presque deux ans jusqu'à ce que les chaussures cirées du gentleman volent par la fenêtre quand Victorine découvre qu'il court la jouvencelle, en plus de faire escale dans son lit à elle, à chaque passage à Paris.

●● 1932 – 37 ans. Septembre Noir et mort de Cécile
Le deuil est double. Celui de son amie, décédée dans les agitations qui ont eu lieu à l'opéra Garnier. Et celui des espoirs futiles qu'elle entretenait à l'égard d'Alphonse qui s'enfuit de chez elle après une nuit passée ensemble. Sans doute est-elle la seule à croire que quelque chose persistait entre eux et que le respect qu'ils avaient envers Cécile empêchait toute concrétisation. Sombre sotte. Rien ne se concrétisait car il n'y a rien à concrétiser. Victorine en a tellement honte qu'elle prétend se souvenir de rien à cause de l'alcool, quand Alphonse fait mine de s'excuser.

●● 1941 – 46 ans. Diagnostic de leucémie chronique.
Mais Victorine refuse le traitement proposé par son médecin, effrayée à l'idée de finir comme sa mère. Elle préfère se concentrer sur les possibilités de guérison offertes par le vif argent. Elle se dit qu'il peut sûrement nettoyer son sang vicié par la maladie, ou remplacer les parties de son corps qui ne fonctionnent plus correctement. La quête de la vie éternelle n'a jamais été plus importante, plus pressante.