(thérèse) désastre des astres

Thérèse et ses éclats de rire résonnent tandis que l'aube effleure la modeste demeure. La mère est agenouillée sur un tissu usé par le frottement quotidien des rotules. Le front s'incline contre le sol.Elle murmure alors les prières sous l'oeil vigilant de sa fille. Thérèse l'imite alors, du haut de son ignorance. Une imitation volage jusqu'à ce que les mots aient du sens pour la jeune fille. Mais le créateur est patient, présence invisible qui réchauffe son coeur. Foi secrète pour l'éternité, promesse faite à sa douce mère qui disait que les prières brûleront les ombres et les peurs pour toujours. Il suffit pour cela de croire et de respecter les fondements de la religion. Mais, Thérèse a froid car elle a trahi la règle la plus sacrée : ne pas tuer. Un acte qu'elle justifie au nom de sa soeur qu'elle voyait dépérir entre les mains de la cruelle maîtresse. Elle pourrait recommencer même si cela la condamne à vivre sa mort en enfer.

Elle serre d'une menotte puissante pour son âge la main de sa mère dont la beauté se fane au fil des jours. La sueur qui couvre son visage étant aussi étouffante qu'un linceul de coton. Elle veille la douce Thérèse, ne s'accordant plus aucun repos depuis une nuit déjà. Elle craint de s'endormir et de retrouver sa réalité altérée. Elle a peur de vivre sans elle, de voir les siens devenir des ombres errantes dans tout Paris. Ainsi, elle se fait suppliante envers la déité, mille prières se déversent de sa bouche lorsqu'elle est seule avec elle. Mais, la fatigue les emporte toutes les deux. Les yeux de Thérèse se ferment jusqu'à la nuit venue tandis que ceux de sa mère ne s'ouvriront plus jamais. Un sourire flotte sur son visage tandis qu'elle semble avoir contemplé sa douce fille avant de s'en aller. Un piètre réconfort pour celle qui perd l'étoile de son ciel. Elle se balance alors d'avant en arrière, le visage abîmé par les larmes. Elle murmure des mots incompréhensibles à tous. Elle erre dans ses souvenirs, inconsciente du monde qui continue de tourner autour d'elle.

<< - Les mots sont aisés à manipuler pour leur faire dire la vérité officielle, tout comme les chiffres. Mes amis, il ne faut plus se laisser enchaîner par cette méritocratie puante. Ils se délassent dans notre sang et dans notre sueur. Ils nous effrayent par les horribles monstres de métal qui qui peuvent prendre nos vies et nos familles en un cliquetis glaçant. Mais nous sommes Légion ! L'un de nous meurt, 10 autres prendront sa place. >> crie-t-elle dans cette auberge anonyme, désinhibée par le whisky qu'elle a bu plutôt dans la soirée pour avoir chaud au ventre.

Mais, ils sont tous comme elle, perdus dans les nuages et dans la vacuité de l'existence. Elle hurle à s'en détruire les poumons mais personne ne l'entend réellement, sauf lui. Il est jeune et son regard intense la transperce de toute part. Elle lui sourit alors de ce charme dévastateur hérité de sa mère mais il s'en va déjà. Ils se retrouveront des jours plus tard, parlant politique et révolution. Il est de l'Ordre du plomb et les idées de Thérèse sont les leurs. Elle les rejoindra alors, fatiguée de toutes ces injustices qui ont coûté la vie à ses deux parents.

Elle se tient droite comme un i malgré le chagrin qui étreint son coeur. Elle ne sourit pas à la femme en face d'elle qui la juge et la regarde sous toutes les coutures comme une marchandise sur un étal. Elle voudrait la mordre pour cette impudence mais elle doit obtenir ce poste, pour elle et sa soeur. Un clin d'oeil à Jeanne qui semble perdue dans ses pensées. Jeunesse déjà volée pour servir dans une maison renommée afin d'avoir une rente honnête à la fin du mois.  Elle n'a pas peur d'avoir les joues couvertes de cendres, c'est toujours mieux que de travailler à l'usine. Elle respire de nouveau lorsque la maîtresse de maison demande à ce qu'on leur apporte des uniformes.

Elle ouvre ses bras à Jeanne qui virevolte comme un papillon fou.
<< - Elle l'était déjà.>>
Une larme solitaire s'écrasa sur sa joue, elle lui manquait toujours autant.

Le conte de fée devint cauchemar lorsque les deux soeurs furent victime de la cruauté de Henriette Metzger. Les punitions et les brimades faisaient résonner les larmes et les cris de douleur dans toute la demeure. Jeanne fut la plus touchée à cause de son amour pour Guillaume, un autre des employés. Thérèse le trouvait gauche et fade mais l'amour a ses raisons que la raison ignore.
<< - chut soeurette, je sais.>>

Elle appliquait alors avec douceur un baume sur le dos de sa soeur, suivant les marques rougeatres. La peau craquelée de Jeanne faisant écho à l'âme de Thérèse éprise de drôles de pensées. Elle chuchotait une petite comptine apprise par sa mère :
<< - de alriyh tazil hiznk baeid ean qalbik wadeah yusbih mulki. (que le vent emporte ton chagrin loin de ton coeur et qu'il devienne mien)>>

Elle fit alors une promesse, desserrant à peine ses lèvres : << - je ne la laisserai pas te faire du mal, promis.>>

La peau pâlie par les sévices et les yeux cernés par l'idée noire qui tourne dans l'encéphale. La rage étreint les deux soeurs qui serrent leur ciseau de couture. Deux ombres dans la nuit, leur sourire sauvage éclairé par les éclairs qui illuminent la véranda. Elle plante le ciseau dans la poitrine de la vieille mégère tandis que Jeanne perce le cou blanc et ridé, déchirant chair, muscles et artères. Le sang jaillit tachant les chemises des deux jeunes femmes. Tandis que Henriette meurt, les yeux révulsés par la terreur. Doux soupir qui résonne à ses oreilles comme la plus belle des musiques. Le ciseau tombe alors à terre, cliquetis réveillant l'instinct de survie. Henriette est morte, vive Thérèse, vive Jeanne. Elle tire alors sur la manche de l'aînée pour l’entraîner à travers le quartier des domestiques.

Une nouvelle aube se lève, gorgée de sang et de souvenirs. L'hébétement viendra alors, folie meurtrière qui s'est emparée des deux soeurs. Elle s'en voudra d'avoir cédé aux sirènes et encore plus de ne pas avoir su en préserver la douce Jeanne. Thérèse aurait du libérer Jeanne de cette tâche et assumer le fait d'être l'ange vengeur, pour elle et pour tous les autres.