André || Gravity plays favorites

Récurer les sols lui faisait regretter les bancs de l’école. Il avait eu tout juste la dizaine quand sa mère lui avait annoncé, désolée et les yeux rivés sur le sol, qu’il devait arrêter ses études et venir l’aider au travail. André n’a jamais été un enfant gaté ou désobéissant, et il avait juste vu une excellente occasion de passer plus du temps avec sa mère, et avait accepté la situation avec bonne grâce.

Ses jours se terminaient avec des courbatures et les mains bleuies, mais il n’était pas peu fier de pouvoir aider a ramener du pain sur la table. Mais il a très vite comprit que ce n’était finalement peut-être pas suffisant. Discrète et  calme, si Claude Lautrec n’était pas le genre de militante active, très vite son fils était touché par ses idées révolutionnaires. Elle disait que c’était son défunt mari, le père d’André,  qui lui avait ‘ouvert les yeux’. Mais voilà longtemps qu’il avait périt en mer, et le seul rapport que le jeune garçon avait de loin était un portrait qui lui ressemblait étrangement, affiché dans le salon.

Il savait qu’elle avait essayé de lui trouver un nouveau père. Pas vraiment par envie de refaire sa vie, mais pour offrir plus de sécurité a son fils, voire même lui offrir la possibilité de faire des études. Elle s’était absentée quelques soirées, pour rentrer très tard, le visage bouffi et l’air affligée, triturant ses vêtements. Il avait fallu un peu plus de maturité à André, pour comprendre ce qui s’était passé. Mais rapidement, elle eut l’air d’avoir abandonné l’idée de se remarier. Pestant de temps en temps sur la dureté de la vie des mères célibataires, faisant promettre a son fils de ne jamais laisser une femme dans ces conditions. Il opina du chef, sans trop comprendre, mais il savait très bien que jamais il ne finirait par disparaitre en laissant une femme grosse et seule.

Parce qu’il n’avait jamais été attiré par les femmes. Et si dans le Paris impérial, c’est très volontiers accepté, pour lui, la réalisation fut plus compliquée a digérer. Surtout quand c’était la réalisation de ses sentiments pour son adorable voisin et compagnon de jeu depuis le plus jeune âge. André resta quelques années, ses sentiments enterrés en lui, laissant à la place gronder bruyamment sa rage contre leur condition difficile, et l’injustice sous laquelle l’empire les écrasait. Si au début, il a commencé a volé pour aider sa mère a mettre du pain sur la table, c’est finalement devenu pour lui un sport. Sa rebellion personnelle. L’embyron de la révolution qui grandissait en lui.

C’est dans cette atmosphère qu’il grandit, développant lentement ses avis politiques avec une mère aimant qui canalisait la colère grandissante de son fils. André était un garçon souriant et vivant, mais les années passèrent et si il restait dans les bonnes grâces, on savait qu’il avait parfois la main lourde quand on l’ennuyait. Sa mère et ses amis, jamais. Mais un manque de respect pouvait avoir de graves conséquences pour lui, et résulter par une vaine et stérile bagarre de rue. Il le savait pourtant, qu’il devait conserver son énergie pour affronter l’empire. Mais comment faire ?  Il retrouva un minimum de stabilité quand son meilleur ami, finit par lui renvoyer ses sentiments, laissant l’intéréssé perdu et pantois. Jamais il n’aurait pensé à cet heureux dénoument pour eux, et il lui fallut un peu de temps pour être parfaitement confortable avec ce qu’il ressent. Et il regrette avoir perdu autant de temps quand il apprend que son cher et tendre doit faire sa conscription comme un bon soldat de l’empire.

Il ne doute pas qu’il ne tombera jamais dans les griffes de l’impératrice et ses sous fifres, sinon il ne serait pas celui qu’il aime depuis des années. Mais il se doute que ce sera dur pour lui. Il comprend, et accepte. Il va lui manquer, mais tout ira bien. Il veillera sur leur petite famille qui s’est maladroitement construite, sur leurs deux  mères qui s’entendent a merveilles, et dans il reviendra, ils seront à nouveau tous ensemble.

Mais rien ne s’est vraiment passé comme prévu. Sa mère a toujours plus ou moins été prise de toux, dans une sinistre symphonie quotidienne. Son fils lui préparait infusion et miel, la laisser s’asseoir et finissait les tâches ménagères avec bienveillance pour qu'elle puisse se calmer. Mais cette fois-ci, elle s’effondra au milieu du salon, comme si son corps avait définitivement abandonné une guerre qui était perdue d’avance. Depuis cet instant, sa vie se compliqua considérablement. Claude était bien en vie, mais même marcher était une épreuve douloureuse pour elle, et évidemment tout travail ne fut plus possible, et les médecins et médicaments hors de prix. André comprit rapidement que le travail de maison n’aiderait en rien a payer les factures, et que la solution serait de se tourner définitivement vers la pègre. Une chance qu’il n’ait jamais vraiment abandonné. Au contraire. Plus il grandissait, plus subtiliser les portes feuilles des nanties devenait facile. Mais il fallait voir plus loin. Quelques connaissances finirent par lui apprendre a ouvrir porte et fenêtre, quoi de plus pratique pour un gamin des rues qui escaladait les toits en guise de jeux ? Le cambriolage est bien plus difficile que le vol de bas étage, mais bien plus lucratif. Claude voit son fils revenir avec des repas conséquents et de quoi lui payer ses soins. Elle ne pose pas de questions, bien qu’elle s’inquiète sensiblement, comme une mère attentive qui sait que son fils ne fait pas que des choses sécuritaires –après tout, il est le fils de son père- mais qui respecte sa vie privée et ses choix. Avaient-ils le choix, de toute façon ?

Quelques rencontres au coin des rues finit par le conduire jusqu’aux cendres renaissantes de l’ordre du plomb. Enfin il a l’impression d’être compris, soutenus,  et ses idées révolutionnaires trouvent un autre écho que celui de sa mère. Il est rapidement impliqué, et se montre immédiatement volontaire et actif. Peut être parfois trop zélé, après tout il est l’un des plus jeunes. Mais il repart avec ce sentiment de gratification, et, enfin, de pouvoir agir.

La tragédie frappe son petit monde une nouvelle fois quand la mère de sa moitié decéde dans un accident d’usine. André et sa mère sont la pour le soutenir, garder précieusement le reste de ses affaires, et l’héberger maintenant qu’il n’a plus nulle part où aller. Après la semaine de permission, il se disent au revoir. Dans trois mois, il promets, il sera de retour.

Trois mois plus tard, il n’est pas là. Les véhicules oui, mais il n’est pas dedans. Il demande des nouvelles à ses supérieurs, on lui répond avec un haussement d’épaule. Il a finit sa conscription, il est rentré, on a pas de nouvelles.

Sa mère relativise : il a surement une bonne raison, il a peut-être eu un souci. Parfois elle perd même espoir : il a peut-être eu un accident. Pour André c’est inacceptable. Tout plutôt que l’imaginer mort quelque part. Il a probablement quelqu’un d’autre, même si la pensée le met en colère. C’est toujours mieux que de sombrer dans le désespoir. Son optimisme bien atteint par le temps et la fatigue, ces quelques mois achève de le métamorphoser. La ligne est franchie quand dans une soirée alcoolisée, il descend dans les boyaux de Paris avec l’envie rageante de taper sur quelqu’un. Son désir est exaucé quand il trouve un de ses rings de boxe dont il a vaguement entendu parlé. L’adrénaline est thérapeutique, et quand il gagne, la paie des paris paye bien un mois de médicament en moyenne. Et quand il perd… il gère la défaite pour se battre un autre jour, ramasse son égo et se soigne seul chez lui, pour éviter le regard de sa mère.

Son compagnon revient avec huit mois de retard, accosté par l’alméria pour faire ce qu’il aime le plus –voler dans les airs- et affronter aussi l’empire de son côté. André en a encore la gorge qui brule a force de lui hurler sa frustration et son inquiétude. Méfiant et agressif, certes, mais affreusement trop éprit, il sait que la leçon a été apprise pour tous les deux. Alors que le monde semble s’éffitrer entre ses doigts, et que la santé de sa mère est de plus en plus fragile, il essaye de se dire que malgré cette absence sans nouvelle, il a au moins un rock solide pour l’épauler.

Et il compte bien s’en servir pour renverser la cause de toutes les injustices du Pays. L’Empire lui-même.