Maud || This chilly stillness is the stillness of certainty.

 C’était une enfant désirée et choyée, certes. Maud ne peut pas prétendre autre chose qu’avoir eu une enfance confortable et à l’abri du besoin. Une maison coquette au sein du Tout Paris, trois repas par jours, des prospecteurs compétents, des cours de harpe qu'elle pratique toujours assidûment, et même un petit chien pour son anniversaire, Maud fut néanmoins élevée de façon très droite et stricte. La petite fille n’était pas autorisée aux caprices, et tout ce qu’elle souhaitait qui était hors du minimum vital, elle devait travailler pour le mériter. Une leçon de vie qui l’a perpétuellement suivit, avec ses parents qui se sont battu toute leur vie pour sortir des bas quartiers à vendre misérablement leurs étoffes sur les marchés. C’est donc toute sa vie que Maud s’est préparé à la dureté du monde extérieur, et que si elle voulait quelque chose c’était avec acharnement et pugnacité qu’elle devait l’avoir.

C’est très tôt que la jeune femme se destina à faire sa carrière dans la médecine, en tant que silencieux témoin d’une mère fragilisé par un début de vie difficile, et souffrant d’une chétivité certaine depuis sa prime jeunesse. C’est pour cette raison que Maud n’a jamais eu de fratrie, sa naissance fut déjà une horrible épreuve pour sa pauvre maman, lui avait-on raconté sans beaucoup de filtre.

Malgré une adolescence relativement sage, ses premiers émois a l’université furent marqué par une soudaine prise de liberté et l’envie de respirer la vie a plein poumon. La condition de rester une élève irréprochable respectée, elle s’octroie l’autorisation de fréquenter bals musettes, galeries, cabarets où on lui sert vin et alambic, et se trouve à flirter gentiment avec des badauds. C’est pourtant sur l’énigmatique Gustav, un autre étudiant en médecine, de six printemps son ainé, que son dévolu se jeta immédiatement. Absolument éprise de cet homme intelligent, il lui suffit que deux soirées en sa présence pour être certaine d’une chose : c’était l’homme de sa vie. Une révélation qui se résulta en des heures de joutes verbales avec son père, ce dernier étant peu ravi de voir arrivé un gendre dont la fortune n’était finalement pas aussi élevée qu’il l’aurait voulu, et encore moins de voir sa fille porter un nom allemand. Mais finalement, il céda. Non sans la prévenir du pire, son paternel n’ayant pas que des bon souvenirs avec les teutons, mais elle n’en fit que peu de cas, trop heureuse et trop têtue.

C’est encore étudiante, que les épousailles eurent lieu, un mariage en blanc, cérémonie intime, mais non sans panache et grande pompe. Sachant bien que le plus tôt est le mieux, c’est immédiatement, en pleine nuit de noce que le projet d’une descendance débute, bien que sans succès. Les tentatives se multiplient, après tout ils sont jeunes et vigoureux, mais les années s’écoule, sans que le berceau ne se remplisse. Maud est aussi effondrée que Gustav, mais elle sent que pour lui, l’impact est différent.

Si la jeune femme s’est destinée longtemps à la gynécologie. Pour aider les femmes a se sentir bien dans cette époque qui leur donne la liberté qu’elles ont toujours méritées. Mais c’est en lisant les études de Jean-François Charcot qu’elle trouve sa véritable vocation. Rentrant immédiatement en contact avec la Pitié-Salpêtrière et le Kremlin-Bicêtre, elle fait des pieds et des mains pour être mentorée et devenir, elle aussi, une des pierres angulaires de cette science absolument révolutionnaire et qui pourrait sauver l’esprit et la vie de tant de gens. Son obsession et son opiniâtreté ont fini par payer, et quelques années plus tard, la voilà officiellement avec son diplôme, titre, et poste de Psychiatre.

Au delà d’aider les gens, Maud veut percer les secrets de l’esprit humain, le comprendre et l’explorer. Une grande partie de son travail consiste à consulter des bourgeois auxquels elle doit répéter que non, si leur femme pleure tout le temps, c’est vraisemblablement parce qu’elle porte sur les épaules toute la pression du ménage et qu’elle n’a pas eu un seul orgasme en dix ans, et non pas qu’elle est une folle hystérique. La pratique de son métier et ses interventions auprès des malades de L’Hotel-Empire la comble de joies un peu plus chaque jour qui passe. Mais Maud voit plus loin, Maud veut comprendre plus de choses. Alors elle s’aventure là ou d’autres ont été trop peureux, et insiste pour pouvoir observer les prisonniers les plus dangereux, a hauteur d’une journée par semaine. Malgré la tiédeur des geôliers, elle obtient les autorisations nécessaires grâce a ses supérieurs, perplexes mais curieux de ses idées.

Rapidement, Maud fait face a une réalité que son passé de jeune bourgeoise aisée ne l’a jamais préparé. La violence des prisonniers, est une chose, et elle ne peut pas compter le nombre de fois où les chaines lui ont sauvé la vie, ou bien quand elle s’était retrouvée avec un large crachat sur le visage. Mais c’est la violence des geôliers et des interrogatoires qui achèvent de la faire sortir de ses gonds. Persuadée que personne ne peut guérir suite a un traitement pareil elle ne se gêne pas pour intervenir au milieu des séances, quitte a être insultées par bien des noms d’oiseaux de la part des gardiens bougons. Pour l’heure, ses rapports sur l’inefficacité de la torture et des coups sur les hommes n’ont pas eu le moindre effet sur les conditions de carcération. Mais ses recherches progressent, et ses notes prennent formes, les présentant régulièrement a ses collègues, elle est persuadée qu’elle avance dans le bon chemin. Confrontée a des hommes profondément malades, malheureux, torturés et perpétuellement en souffrance, Maud est confrontée a des patterns et des signes qui peuvent mener des personnes au crime. Et même, commence à penser au principe de réinsertion, au lieu de croupir dans une cellule parce que la société ne sait pas quoi faire de ces personnes-là.

Mais de l’autre côté de la médaille, il y a la trentaine qui arrive de plein fouet, et toujours pas le moindre bambin a l’horizon. Jamais un enfant ne s’est niché dans son giron, jamais l’espoir n’a été présent, les tentatives se multiplient, mais l’enfant n’arrive pas. Maud souffre atrocement, mais elle le fait en silence, pour ne pas encore plus imposer ses douleurs a son mari. Il lui arrive de sangloter dans la salle de bain, mais jamais devant lui. La date est passée, et ses chances d’avoir un enfant sont désormais parfaitement nulles. Si sa carrière est un succès, elle se sent comme une minable, et les rumeurs autour d’elles enflent et enflent, et empoissonnent son esprit.  Si l’infertilité n’est finalement pas si rare depuis quelques années, cela n’empêche nullement les mères de familles autour d’elle de se complaire en sourire en coin et messes basses dignes de fillettes en mal de ragot. On lui prête également un homme infidèle depuis plusieurs années. On lui murmure, non sans effronterie, qu’il a été aperçu a tel endroit en bonne compagnie, ou dans un de ses endroits mal famés ou la chair est à vendre. Maud lève le menton et affirme que ce ne sont que des balivernes de femmes bien trop jalouses, avec leurs Jules ventripotents et impotents. Mais peu de gens sont dupes.

Mais le poids des années se fait sentir, les rides se sont incrustées, et elle porte en elle le sentiment de l’échec complet. En tant que femmes, et en tant que mère. Elle se sent souvent laide et répudiée. Les pensées que son mari ait réussit a faire d’autres enfants a d’autres femmes lui traversent même l’esprit, ne sachant pas si cette simple idée la rend plus malheureuse qu’elle ne la ravi pour lui. Toujours très éprise de lui, elle tente parfois de rompre l’ennui et la routine pour lui montrer son affection, mais c’est finalement lui qui prendra les devants, de la manière la plus sordide possible. Le coup de poignard arriva le jour où elle trouva ce qu’elle considère encore comme une ignominie. Un enfant mécanique, une parodie du bambin qu’ils n’ont jamais réussi a avoir. Une abomination. Il est vrai que Maud porte le regret et l’humiliation de ne jamais avoir donné d’enfant, mais jamais elle ne laissera une machine prendre le contrôle de sa vie, et la place que la chair de sa chair aurait dût prendre. Alors elle s’acharne sur l’enfant de métal, le brise en morceaux. Avec une rage féroces, les dents serrés, et les yeux embués de larmes de colère. Quand son mari revient, tard le soir, elle jette avec férocité les derniers bouts de l’horreur dans la cheminée,  en pleurant a chaudes larmes. Peut-être, oui, que c’était sa dernière chance d’être mère. Mais la douleur de cette pensée était bien plus supportable que de tenir une main froide et dénuée de vie. Alors, elle, qui n’avait probablement pas pleuré devant son mari depuis leur mariage, s’effondre devant l’âtre de la cheminée, et sanglote des heures durant.

Ce fut pour elle, le départ de feu. Elle qui voyait l’obsession de son mari pour le vif argent et la quête d’immortalité comme une vague dangereuse qui finira par l’emporter lui et tant d’autres. Si il refuse de l’écouter, et que tant d’autres scientifiques insistent dans leur mission apocalyptique, alors que le smog avance, et que bien d’autres femmes ne peuvent plus enfanter, très bien. Elle agira autrement. Et ça commence par rejeter totalement l’Empire et sa main cruelle qui étouffe tant de vies.

C’est donc peu après qu’elle contacta discrètement l’Almeria, prête a utiliser ses dons et deniers pour quelque chose de plus grand qu’elle. Mais c’est quelques 4 ans plus tard, qu’elle entend parler de l’Orme en ouvrant sa gazette matinale, et que son intérêt se fait grandissant.