tombée du ciel (maud)

Romane avait fait une erreur. Une grossière erreur de débutante et elle en payait désormais le prix. Dans le smog de cette matinée d’été, personne ne faisait attention à cette silhouette pleine de poussière au visage dissimulé. Romane se mêlait ainsi aux ouvriers et aux domestiques s’activant de bon matin, à la foule qui se pressait vers les marchés et les boutiques. Bref, cette ombre un peu crasseuse ne dépareillait pas dans ce brouillard rendu opaque et poussiéreux par le soleil qui tentait de percer à travers les nuages ou le smog – on ne savait plus distinguer lequel était quoi à l’œil nu. Et, à ce moment-là, la préoccupation de la jeune femme était ailleurs. Car c’est avant tout une sourde douleur qui se rappelait à elle à chaque pas qu’elle faisait en direction des rives de Seine. Romane grognait dans son foulard rabattu dans son col tandis que sa démarche qu’elle voulait assurée la menait à la demeure de son amie. A dire vrai, ce n’était peut-être pas la meilleure idée du siècle : Maud ne savait rien des activités illicites de Romane et nul doute qu’elle aurait de nombreuses questions à lui poser en avisant son accoutrement et la blessure pour laquelle elle lui rendait visite. Le mieux aurait été de voir un médecin, il en existait pas mal qui hantaient les méandres de Paris et rafistolaient sans poser de question, mais Romane avait agi sur un coup de tête, comme toujours, et ne démordrait pas de son objectif. Et, comme toujours, elle regrettait son entêtement et sa faculté à ne penser aux problèmes qu’après. Elle avait toujours su que son équipage manquait d’un soignant et, depuis qu’elle avait progressivement délaissé son amour de la voltige, elle avait passé encore moins de temps à recruter quelqu’un capable de soigner des blessures et parer au plus urgent. Elle savait néanmoins sa propre blessure plus impressionnante que dangereuse pour sa vie et, pour le moment, c’était bien l’aide de Maud dont elle avait besoin.

Même si Maud était loin de tout connaître de ses activités, Romane lui faisait entièrement confiance. Elle avait été celle qui était parvenue à l’aider lors de la mort de son père, et elle avait trouvé en sa thérapeute bien plus qu’une praticienne : une amie. Sans doute avaient-elles bien plus de points communs que ne le laissait penser leurs caractères opposés. Et si quelqu’un était en passe de venir en aide à Romane pour cette petite « contrariété », c’était bien Maud. Même si cela signifiait pour l’héritière Demadières d’en révéler un peu plus sur ses activités les plus secrètes.

Il était encore tôt mais Romane savait que Maud serait déjà levée, surtout si c’était un jour de consultations. Elle espérait simplement qu’elle n’aurait pas déjà un client trop matinal ou à recevoir urgemment ! Romane s’approcha de la demeure Cortenbach et se dirigea sans réfléchir directement à la porte menant au cabinet de Maud. Ainsi éviterait-elle de croiser quiconque d’autre. Elle frappa au battant et attendit quelques instants avant de découvrir son amie. Elle lui offrit un sourire – un peu crispé. « Bonjour Maud ! Je suis désolée de te déranger si tôt…mais j’ai besoin de ton aide ! » Et elle ouvrit un pan de sa veste, révélant une jolie tâche rouge qui maculait sa chemise d’un gris douteux.