l'espérance est sœur de souvenir (martel)

Une drôle d'ombre s'est perchée sur le soleil. L'étrange créature se pourvoit d'une crinière blonde tressée par les vents et de deux courtes pattes autour desquels s'enroulent les nuages. Ainsi disposées, les écharpes de fumée semblent hisser l'illusion au coeur du brouillard, modelant un ange du bout des brumes. D'en-bas, attirés du coin de l’œil par les éclats du jour qui se réfléchissent entre ses mains et percent les nimbes, les passants s'arrêtent un instant et scrutent l'air embrumé à la recherche de l'improbable. La silhouette d'or scintille dans le bleu poussiéreux des cieux. A bien y regarder, on jurerait y distinguer des lames de cuivre rouillé greffées là, entre ses doigts. Mais les yeux plissés peinent à discerner le simili-mirage dans la grisaille. Entre les mentons levés et les mains en visière, les lèvres s'arquent en points d'interrogation puis quelques clameurs brisent l'instant d'hébétement. Une bourrasque estivale a mollement ouvert les rideaux du brouillard sur une curieuse jeune femme. La drôlesse a pris le zénith pour scène de théâtre. Mi-dame mi-flamme, la petite fée aux ailes taillées dans les rayons de lumière valse avec l'apesanteur. La sylphe de l'horloge donne ses quelques tours de vis, les gratifie d'une pirouette et la voilà qui disparaît dans les sommets.
Le vieux plancher de la tour de l'horloge ronchonne en craquant gravement quand Ombeline y termine sa cabriole sur la pointe des pieds. Dans la petite pièce, entre les murs de pierres et les arches sur ciel-ouvert, une dizaine de visiteurs acclament sa dernière révérence d'une chaleureuse ovation. La gardienne savoure un instant les étincelles dans leurs regards puis s'éclipse aussi vite dans la petite pièce attenante qui lui sert de repère. Elle jette sa ceinture d'outils couleur cuivre sur la coiffeuse en bois, enjambe le grand lit au ras-du-sol et ouvre une fenêtre. Son coeur bat encore la chamade dans sa poitrine, s'affole sous l'emprise de l'adrénaline. Le souffle court et le sourire béat, elle se sent irradier d'une frénésie nouvelle. Aujourd'hui, Ombeline exhale l'espoir en de grandes bouffées brûlantes. En plissant les yeux elle peut presque discerner de petites braises qui valsent enlacées dans les volutes de son souffle, quelques étincelles sur le bout de ses ongles et d'autres flammes sous ses paupières. Une ardeur enfantine s'est emparée de son être. Impatiente, elle balance son buste sur le rebord de la fenêtre et, à moitié en prise avec le vide, détaille les minuscules silhouettes sur la place en contrebas. Depuis son départ, la foule se disperse peu à peu dans les petites ruelles parallèles, ne laissant que quelques acharnés au pied de sa dame aux aiguilles. Elle repère son aînée parmi eux à sa chevelure blonde et sa posture des plus dignes. Attrapant sa besace au vol, Ombeline rase les murs de la pièce principale, dévale les longs escaliers en colimaçons, ouvre la porte d'entrée d'un grand coup d'épaule et plante fermement les talons devant sa sœur, la tête haute pour pouvoir la regarder dans les yeux et l'index en l'air pour prendre la parole sans plus tarder :
- Te voilà ! Cela fait longtemps que tu es arrivée ? Excuse-moi si je t'ai fait patienter. Il y a beaucoup à faire. Nous devons commencer sans plus tarder., débite-t-elle à toute allure avant de plonger les mains dans sa besace. Elle farfouille dans tout son attirail une minute avant d'en ressortir son calepin et sa mine de graphite. Elle tourne les pages du petit cahier jusqu'à tomber sur une carte grossière de Paris et de ses environs. De nombreuses croix épaisses en parcourt la surface. Alors, tu ne vas pas me croire, mais une... euh, amie, m'a juré avoir vu Agnès la semaine dernière. Attend, ne m'en veux pas, je sais que j'ai déjà prétendu la même chose la dernière fois, et celle d'avant aussi, mais cette fois-ci c'est différent. Ombeline s'accorde une longue inspiration. Le coeur troublé par l'émoi, elle peine à remettre ses souvenirs en place. Elle m'a juré que notre sœur lui serait venu en aide dans une situation délicate, cela lui ressemble, ne trouves-tu pas? Elle l'a récupérée quelque part dans les recoins abandonnés de l'île, du côté de l'Hôtel-Empire - on lui en avait refusé l'entrée et elle était désespérée - puis elles ont marché ensemble jusqu'à apercevoir Notre-Dame je crois. C'est là que mon amie a pris peur et a fuit. La jeune femme extirpe un petit bout de papier chiffonné du revers de la couverture du journal et le tend en tremblant à Hélène. Elle m'en a fait un dessin. Le portrait est vague et peu flatteur, je te l'accorde, mais ce pourrait-être elle, ne crois-tu pas ?

( Pando )