☽ La mélancolie des jours passés

caractère ◇ Débrouillarde ◇ fataliste ◇ dépressive ◇ appliquée ◇ artistique ◇ secrète ◇ altruiste ◇ délicate ◇  déterminée ◇ observatrice ◇ manipulatrice ◇ capable de s’adapter facilement ◇ caméléon ◇ diplomate ◇ économe ◇ fidèle ◇ imaginative ◇ méfiante ◇ pensive ◇ prudente ◇ sage ◇ rusée ◇ cachotière

place en société ◇ L'nvisible.
Fumée fantomatique, que personne ne semble voir.
Brouillard imperceptible, presque illusoire.
Elle erre dans la rue, sert silencieusement ses clients.
Toujours coincée derrière le bar, elle écoute sans jugement.
Sa place me demandez-vous? L’invisible fantôme du cabaret.
Somnambule flottant, iréelle.
Regard discret, étincelle.
Lèvres rouges, passionnelle.
Jolie gonzesse, charnelle.
Tant d’adjectifs pour décrire ce fantôme, invisible dans la société d’aujourd’hui.
C’est mieux ainsi, c’est plus sûre ainsi, elle a plus de pouvoir ainsi.
Intelligente observatrice, décelant les trous, les courbes de l’esprit.

réputation ◇ Quel drôle d’invention, la réputation.
Pouvons-nous réellement vivre à travers les yeux des autres?
N’y a-t-il pas d’autres façons de vivre, de rire, d’être?
Mains expertes, chimistes, servant de plaisir liquide aux autres.
Sourire factice, regard perçant, elle ne fait que paraître.
Sa réputation? Aucune.
L’élixir servit par ses mains en fait tomber plus d’un.
Lui est connu, lui : ce talent, ce liquide incertain.
Qui procure du plaisir, monnayant une petite fortune.
Cheveux coiffés dont l’ondulation rappel l’océan.
Ongles peinturlurés, non sans rappeler ses lèvres pulpeuses.
Tendant l’oreille, elle écoute, tous les jours, tout le temps.
Ils parlent, toujours, ils sont là pour ça, être écoutés par une sulfureuse.
Elle n’est rien si ce n’est une oreille. La main qui leur temps le poison.
Le poison qu’ils attendent, le poison qu’ils chérissent.

lieu(x) fréquenté(s) ◇ Les mains jointes, le regard baissé, les lèvres qui bougent dans un murmure à peine audible, une jeune femme prie. L’endroit est calme, froid mais chaleureux. Le toit est haut, impressionnant, touche presque le ciel. L’atmosphère est sombre, médiévale, peut-être à cause de l’odeur d’encens qui circule dans la pièce. Une pièce large, immense, loin d’être pleine.
Où était-ce ? Sur une île.
Au milieu d’une grande ville.
Une ville drapée d’un brouillard permanent.
Sur une île, un grand bâtiment avec deux tours.
Un bâtiment autrefois sacré. Autrefois appelé « la maison de Dieu ». Son nom : la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Une cathédrale, une jeune femme prie, vous l’y trouverez la nuit, si seulement vous cherchez sa compagnie.

Parfois, elle a les mains occupées à autre chose. Parfois, elle s’en sert pour polir le cristal brillant des verres.
Parfois, elle les utilise pour secouer un verre en métal fermé, contenant un mélange de liquide. De ce mélange découle l’élixir de plaisir qu’on lui a commandé. Un cocktail, c’est comme cela qu’on l’appelle.
Parfois, elle n’a même pas besoin de mélanger, il lui suffit de servir un liquide alcoolisé, rhum, bourbon, vodka, on leur donne de nombreux noms, seul le goût change, l’effet est le même. Ils permettent d’oublier.
Parfois, elle reste derrière son bar à ne rien dire, la bouche rouge et pulpeuse fermée. Elle ne fait qu’écouter.
Parfois, on lui demande de parler, « faire la conversation » comme on dit. Elle n’en est pas ravie, mais cela ne se voit pas. Les clients sont heureux, cela veut dire qu’elle fait bien son job.
Parfois, elle n’a rien à faire et dans ces moments elle peut se permettre d’écouter la musique qui sort des enceintes. Dans la pièce lumière tamisée, sur la scène une silhouette élégante. Les regards ne sont plus tournés vers le bar, elle peut observer. Délicatement, tourne ce regard vers les clients, n’émet aucun bruit, se contente d’observer tel un fantôme, derrière son bar à l’Apollonide.

C’est là où vous la trouverez.
Mais personne ne le sait.

Parfois, elle vagabonde au Faubourg de Paris, c’est là sa maison après tout. Elle achète au marché des enfants-rouges. Secrètement, elle passe au marché noir du funiculaire, pour quelques cigarettes, pour quelques gouttes d’opium. Et puis les jours où elle ne travaille pas (plutôt rares), elle passe à la prison de la roquette. Un endroit dangereux, gris, rempli d’êtres en peine. Elle y va pour parler, elle y va pour être utile. Mémoire d’un passé oublié.
Oublier, comme les clients au bar, elle cherche à oublier sa peine, ce qui a été abandonné.

journée type ◇  Réveillée par les bruits dans l’église, le soleil haut dans le ciel, la matinée touche à sa fin. Premier geste, se passe de l’eau sur la figure, l’eau fraîche réveille l’âme meurtrie. Une boule de poil noir s’agite sur le lit. Depuis quelque temps, ce matou a élu domicile dans son studio. Nouvelle compagnie que la maîtresse des lieux accepte avec joie. Ces petites boules d’amour sont si rares. Après sa toilette et un petit-déjeuné copieux - bien qu’ils ne soient normalement plus l’heure - elle sort de son appartement pour se diriger vers la cathédrale. Cachée derrière son voile, elle fait attention à ne pas se faire voir. L’appartement loué pour une modique somme est situé à quelques pas de l’immense maison de Dieu - c’est sans doute pour cette raison qu’il est si peu cher. Elle y passe quelques heures, priant, aidant les sœurs, parlant avec les réfugiés. Mais elle n’y reste pas plus, elle n’aime pas y passer la journée. Une fois ces tâches accomplies, elle vagabonde dans Paris. Après-midi rythmées par ses promenades au Faubourg, elle fait les marchés légaux ou non. Parfois se perd dans la ruelle, des pensées sombres l’assiègent. Parfois, elle se rend à la prison, pour apporter un peu de répit à des âmes qu’elle sait pouvoir alléger.

La sienne est bien trop lourde.

Quand le soleil amorce sa descente elle se dirige vers l’Appolonide. Comme à son habitude, elle prend sa place derrière le bar, prête pour une nuit mémorable. C’est toujours le cas, il y a toujours des surprises dans ce lieu de supplice. De plaisir. Parfois, elle y passe la nuit. Parfois, elle ramène une conquête d’un soir dans son petit studio. Parfois, elle ne fait que travailler. Souvent, elle écoute, prend du plaisir à servir ses clients.
Elle sait leur apporter le bonheur de l’oublie.
Combien sont-ils prêts à payer pour un peu de répit ?
Elle a pris le temps de se maquiller avant de prendre son service. Parce que c’est toujours mieux d’être servi par des lèvres rouges et sulfureuses. D’être regardé par un regard de biche noirci de crayon, hypnotisant.

Elle vend du rêve.
C’est son plus grand talent.

rapport au vif argent ◇ Le salut pour certain.
Oh liquide du destin.
Il n’a rien de certain. Il n’a rien de célestin.
Il est pourtant cherché de tout le gratin.
Des parisiens d’or et de plomb, loin d’être crétins.

Ou en loue des vertus miraculeuses
Miraculeux. Miracle. Vertu de Dieu.
Quel est ce liquide des cieux?
Blasphème lui dit-on dans son lieu.
Mais elle ne peut rêver mieux.

Parce que voyez-vous, notre jeune fille est soufrante.
Souffrance. Souffrir. Malédiction du martyre.
Malade du coeur, condition fragile, née différente.
Elle ne peut rêver que du remède qui la fera vivre.

spiritualité ◇ Dieu. Jamais vu, jamais entendu. Dieu, aucune preuve, aucune évidence. Il n’y a que la foi. Foi.
Foi.
Foi en l’invisible, celui qu’on ne voit pas.
Foi en l’amour, celui qui donne sans recevoir.
Foi en l’amnistie, celui qui pardonne sans oublier.
Foi en l’éclat, celui qui éclaire le chemin étranger.
Héritière du protestantisme. La perte de l’Église n’a rien ébranlé.
Elle vit, elle ressent, elle croit. Elle a la foi. .