Lettre à ma soeur. (Hélène)

Agnès à même le sol, les genoux qui frottent sur le parquet de sa petite chambre dans la pension Bonnet. Sa camarade de chambre n'est pas là ce soir ; elle en profite pour faire ce qui aurait dû être fait depuis longtemps déjà. Un bout de papier, un stylo-plume et un peu d'encre, dérobés en secret à la maîtresse de maison, feront l'affaire. Elle n'a pas écrit depuis si longtemps qu'elle sent sa main s'engourdir au fur et à mesure des mots, mais poursuit tout de même.

Le cinq mars 1933,

Hélène, ma chère grande sœur,

J'ignore pourquoi je prends la plume aujourd'hui pour t'adresser ces quelques mots. J'ignore aussi si tu les recevras bien, car je n'ai trouvé à ton nom que cette adresse qui m'est tout à fait inconnue. J'imagine donc que tu es mariée désormais, et que tu as quitté Ombeline et les parents ? Quoiqu'il en soit, j'espère que tu vas bien et que la personne avec qui tu partages ta vie est bonne avec toi, tu mérites d'être heureuse.
J'ai mis du temps à t'écrire, je le sais bien, mais sache que je ne vais pas m'en excuser. Tu auras compris je l'espère, mon besoin de quitter la maison il y a déjà deux ans. Que le temps a passé vite depuis... Tu m'as souvent manqué, j'aurais voulu te raconter tant de choses de ma vie d'aujourd'hui, mais tu ne comprendrais pas et ce n'est pas grave.
J'aimerais seulement que tu saches que je pense souvent à toi, à Ombeline, à nos parents.
Si tu souhaites me répondre, tu peux m'écrire au centre d'orbes de Belleville, j'y ai une boîte postale. Si tu ne le souhaites pas, je te souhaite le meilleur malgré tout.

Je t'embrasse,
Agnès