l'amie prodigieuse (sapho & hélène)

Date d'inscription : 05/05/2020

l'amie prodigieuse
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sapho norouzian & hélène martel

Une note. Tenue sur la longueur, tenue sans faillir afin d’emplir le cœur de ceux qui écoutaient le chant qu’on leur offrait, les yeux pleins d’émerveillement. Une fois éteinte, la voix laissa place aux cordes, aux percussions et aux instruments à vent qui s’époumonaient dans la fosse désignée. Le silence, enfin, tomba. Pendant seulement quelques secondes car à peine le rideau tombé qu’un tumulte agita toute la salle ; dans leurs fauteuils, les applaudissements répondaient au triomphe de la prestation de ce soir. Hélène était de cette ovation ; penchée sur la rambarde du balcon, elle n’avait pas perdu une miette du spectacle. Si l’on avait observé son visage plus en détails, on eût même remarqué le brillant de son regard, emporté qu’il était par la puissance de la musique. Au rappel, on se leva et plusieurs “Bravo !” furent lancés à répétition jusqu’à ce que le monde s'essouffle et qu’on décida finalement de quitter cette parenthèse magique offerte par l’opéra. Hélène, elle, avait dans le projet de ne pas se joindre au flux des spectateurs se dirigeant vers la sortie ; bifurquant à droite en sortant de sa loge, elle laissa passer dans son dos les murmures approbateurs causant sur le qualité de la soirée et descendit un escalier peu utilisé. Avec la sensation de plonger un peu plus dans les entrailles du théâtres, elle se glissa derrière une porte cachée des yeux du grand public et, au bout d’un étroit couloir, arriva dans le quartier des artistes.
À l’entrée de cet autre monde, un homme, gardien du passage, était assis ; en voyant arriver Hélène, il se contenta de hocher la tête à quoi la jeune femme répondit par un léger salut. “Elle vient d’entrer dans sa loge, au fond à gauche.” fit-il d’un air flegmatique avant de tranquillement reprendre la lecture de son journal. Le remerciant, Hélène se dirigea vers l’endroit indiqué, bousculant au passage quelques artistes qui s’agitaient dans la fin de représentation. Dans le tumulte, personne ne faisait réellement attention à elle, pourtant vêtue de l’habillement des plus riches spectateurs présents dans la salle : sur sa nuque, gravé comme un ultime ornement, le tatouage du mercure. Elle s’arrêta devant la porte qu’on lui avait désigné et, le poing levé prêt à frapper contre le bois, s’immobilisa, retenant son souffle d’une impatience contenue. Revoir sa précieuse amie était toujours source d’un grand enthousiasme, de celui qu’Hélène ne connaissait désormais que rarement ; un sourire heureux dessiné sur ses lèvres, elle toqua. Le silence lui répondit ; Hélène attendit quelques secondes, insouciante, et toqua à nouveau. De l’autre côté de la porte, elle distingua une légère toux et quelques pas. Enfin, la porte s’ouvrit et dans l’entrabaîllement, Hélène put voir son amie. “Sapho, fit-elle, lumineuse, j’espère que je ne te surprends pas ? Nous nous étions bien données rendez-vous après ta représentation, n’est-ce pas ?” D’une sincérité étonnante pour qui connaissait Mme Martel, celle-ci ajouta, les yeux encore éclatants de la musique qui se jouait dans sa tête : “Oh, et tu étais formidable, vraiment. Mes félicitations pour ce soir.” Et pour accorder plus de poids à ces mots, elle prit vivement les mains de son amie que l’émotion rendait encore plus belle aux yeux d’Hélène.

Date d'inscription : 30/05/2020

l'amie prodigieuse
sapho norouzian & hélène martel

Une dernière note, offerte dans un souffle ultime. L'heure est au grand final, après plus de deux heures d'une représentation semblable en tous points à un marathon. Et comme les athlètes, Sapho franchit la ligne d'arrivée avec brio ; ne rien laisser paraître de son épuisement et de sa faiblesse, garder la tête haute et la voix claire. L'adrénaline est pareille là encore à une fin de course, si bien qu'elle ne pense plus à autre chose qu'à son chant, aveuglée de part et d'autres par l'incandescence des lampes et des lustres qui l'éclairent. La fin est proche, elle le sait, mais elle persévère : la foule réunie dans la salle richement ornée est là pour le spectacle, et elle se doit de le leur offrir. Plus encore, que dirait-on d'elle si elle ne tenait plus ses notes ? L'avenir bien sombre d'une vie sans scène lui est insoutenable. Et donc, elle persévère, s'obstine, incapable de faire quoique ce soit d'autre.
Enfin, le silence se fait et le rideau se ferme. La cantatrice inspire douloureusement, tentant de restaurer une respiration régulière. Repliée sur elle-même, elle halète ; mais quand le rideau s'ouvre de nouveau, Sapho se redresse, adresse un sourire à l'auditoire - où elle repère quelques visages familiers - avant de plonger de nouveau en un salut de rigueur.

Après une salve d'applaudissements et le traditionnel rappel, la cantatrice ne tarde pas à rejoindre sa loge. Plus tard, il lui faudrait aller serrer les mains de quelques personnalités haut-placées, qui souhaiteront rencontrer la reine d'un soir. Pour le moment, elle profite du calme et de la solitude pour se réhydrater. Une quinte de toux vient se nicher dans sa gorge épuisée, la laissant épuisée, le souffle court.
On toque à la porte ; Sapho attrape un cachet dans son sac, qu'elle avale d'une traite avec un verre d'eau tiède. C'est une bien maigre consolation pour son corps meurtri, mais à ce jour, c'est la seule qu'elle ait trouvée. On l'avait adressée à Monsieur Garnier-Brissac il y a quelques semaines maintenant, et les remèdes qu'il lui avait alors fourni se sont avérés les plus efficaces parmi tous ceux qu'elle a pu essayer. Non pas qu'ils la soignent de quelque manière. Ils parviennent seulement à étourdir le mal, avec pour effet secondaire une légère indolence et une tendance à l'endormissement. Qu'importe : ils feront l'affaire pour l'heure. Elle réajuste sa délicate robe de chambre sur ses épaules, avant de lancer, d'un ton enjoué : « Entrez ! »

Dans l'entrebâillement de la porte, vient se dessiner le visage d'Hélène. A l'instant même où elle l'aperçoit, Sapho se souvient : elles avaient convenu de se retrouver à l'issue de la pièce. Brièvement désarçonnée, elle finit par lui lancer un sourire accueillant. « Bien sûr, viens, viens ! » l'invite-t-elle à la rejoindre à ses côtés, d'une voix toujours légèrement affaiblie. Bien vite viennent les compliments ; si elle y est habituée, ceux d'Hélène ont toujours quelque chose de particulier. Peut-être qu'ils sont particulièrement sincères, ou peut-être est-ce simplement parce qu'elle la connaît, et qu'elle sait lire en elle l'émotion véritable. « Je suis heureuse que ça t'ai plu. Et je suis plus heureuse encore de te voir, ma chère amie. J'ai l'impression que cela fait une éternité, » finit-elle par conclure doucement, autant pour Hélène que pour elle-même. Peu à peu, Sapho sent la médication faire effet, rendant son environnement légèrement plus cotonneux, comme un nuage de velours rouge. Elle garde cependant le dessus, poursuivant la conversation avec naturel. « Comment vas-tu, et comment vont les choses, Quai de Gesvres ? J'ai lu qu'il y avait eu du grabuge ces derniers temps, » conclut-elle, référence aux récentes arrestations. Sapho n'est guère au fait de l'actualité, mais cette information là ne lui a pas échappé : si l'on cherche à sauver les plantes, peut-être pourra-t-on aussi la sauver, elle.

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