Science runs in the family (Maignan père & fille)

Sa montre affichait 15 :33. Elle aurait dû se trouver dans le bureau de son père depuis plus de trente minutes. Comme à son habitude Édith était en retard, prise par ses recherches, elle n’avait pas vu le temps passer. Pourtant elle avait tout calculé, l’expérience qu’elle menait n’aurait pas dû durer plus de 45 minutes, ce qui lui aurait laissé le temps de ranger le matériel avant de se diriger vers le bureau d’Alphonse pour 15 :25. Mais bien sûr, en science rien ne se passe réellement comme on s’y attend. Elle avait dû rajouter un composé dans sa solution. Elle avait dû tester d’autres branches de sa fleur hybride pour s’assurer de la solidité de son ADN recomposé. Elle avait dû reproduire le mélange car, empotée comme elle est, la jeune ormiste avait fait tomber la première fiole.

En bref, Édith était en retard et son père n’aimait pas les retardataires.
Elle laissa tous ses ustensiles en place et s’assura que ses expériences ne risquaient pas d’exploser ou d’abimer ses plantes. La botaniste était très attachée à ces petites espèces végétales qu’elle avait elle-même créé. Pour beaucoup, il ne s’agissait que de fleurs banales – bien que dans le monde dans lequel elle vivait, il n’existait pas de fleur banale – mais pour Édith ces végétaux représentaient bien plus. Ils étaient le travail de sa vie, le salut de cette terre, le futur de l’Orme. Oui, pour Édith, cela représentait son combat, elle ne comptait pas commettre la moindre erreur. Une fois s'être assurée de la sécurité de ses travaux et de son laboratoire la jeune Maignan monta vers le bureau de son père.

Père et fille avaient souvent cette petite réunion. Il s’agissait plus d’une réunion de travail qu’un moment familial, mais c’était tout de même, un moment important pour la jeune fille. Car pour Édith, il s'agissait DU moment. Lors de ces réunions, elle essayait de prouver à son père sa valeur en tant que scientifique. Elle ne lâchait rien, argumentait avec lui, tout cela pour lui prouver qu’elle était sa digne héritière. Fatiguée de toujours être comparée à son paternel – bien qu’elle lui soit dévouée – Édith voulait briller par elle-même, chose qui n’était pas aisée quand on avait pour père Alphonse Maignan, fondateur de l’Orme, ancien conseiller de Napoléon, biochimiste de génie. Bien qu’elle soit en admiration face à cette figure, Édith se sentait obligée de rivaliser avec lui, dans le seul but d’exister. Parfois, c’était tellement fatiguant qu'elle se réfugiait dans l’anonymat de son faux nom Annie Monian. Pourtant, elle ne changerait sa lignée pour rien au monde. Elle était fière d’être une Maignan, d’être une figure de la révolution écologique, d’appartenir à une lignée de scientifiques prêts à sauver le monde.
Mais parfois, c’était beaucoup de poids sur ses épaules.

Arrivée face à la porte du laboratoire de son père, Édith respira un bon coup. Elle avait travaillé toute la nuit sur ses arguments. Quand on allait confronter Alphonse Maignan, il valait mieux savoir de quoi on allait parler. Bien sûr, elle le connaissait sur le boue des doigts son sujet et les plantes n’avaient plus de secrets pour elle. Édith était une très bonne scientifique et une véritable botaniste. Son travail à la serre du Grand Palais lui procurait des accès à des plantes qu’on ne croisaient plus nulle part ailleurs et à des savoirs qu’elle croyait perdus. Du haut de ses vingt-cinq ans elle n’était plus novice, Édith était une experte, son savoir elle seule l'avait. Pourtant, tout ceci lui semblait dérisoire lorsqu’elle se retrouvait face à son père et à son imposante prestance. Après tout, elle restera pour toujours la petite fille de son père, la seule survivante, son joyau. Elle avait beau être une professionnelle, face à lui elle ne se sentait plus que jeune et stupide. Ainsi, elle avait travaillé toute la nuit sur ses arguments, sur son monologue, sur ses connaissances, pour éviter de perdre ses moyens. Elle savait quoi dire à son père, elle savait où en était ses recherches, elle avait des preuves. Rien ne pouvait lui faire perdre la face. Prenant son courage à deux mains, elle toqua à la porte puis entra. « Père, c'est moi Édith. Je suis désolée de mon retard, l’expérience a duré plus longtemps qu’il n’était prévu. Vous savez comment c’est… J’espère que vous n’avez pas trop attendu ? ».

Sans attendre l’accord de son paternel, Édith rentra dans le laboratoire et vint se poser face à lui. « Êtes-vous prêt ? Je suis impatiente d'avoir des nouvelles de vos recherches. Et surtout d’en savoir plus sur ce pissenlit ».

Là était la vraie raison de sa venue et de sa préparation.