cleansing waters (léontine)

« JEANNE ! » La jeune femme pressa un peu plus le pas. « OHÉ ! JEA-AANNE ! » Depuis quelques jours, la criminelle en fuite n’avait plus seulement sa tragique situation à se soucier mais aussi ce jeune homme qui semblait la suivre partout où elle se rendait. Les têtes se tournaient au passage de ce garçon qui tentait d’attirer son attention et Jeanne en ressentait une vive inquiétude. La première fois, elle s’était enfuie aussi rapidement que l’éclair, les fois suivantes, elle avait du ruser pour disparaître et le semer. Ce qui l’embêtait le plus, au-delà de se savoir suivie, c’était de ne pas reconnaître celui qui hurlait son nom à travers la ville. Il ressemblait au garçon boucher qui avait livré chez les Metzger à une époque, mais l’ancienne domestique n’en était pas certaine. En tous cas, il la rendait encore plus fébrile alors qu’elle essayait de le semer sur les quais de Seine. Heureusement, la foule était dense ce jour-là et Jeanne finit par le perdre tandis qu’elle approchait des thermes.

S’assurant une dernière qu’elle n’était pas suivie et que personne ne faisait trop attention à elle, Jeanne contourna l’entrée des thermes et rejoignit l’entrée des domestiques et des employés où devait l’attendre son amie Léontine. Depuis sa fuite, l’employée des bains était la seule en qui elle avait confiance en dehors de sa sœur. Malgré le caractère impétueux de la jeune fille, Jeanne l’avait toujours appréciée toutes les fois où elle avait accompagné Henriette Metzger à ses ablutions ou ses inhalations et la comptait parmi ses amies. D’autant plus depuis son passage dans l’illégalité, car Léontine l’avait non seulement déjà hébergée depuis la fameuse nuit, mais également proposé de venir une fois par semaine, à un moment très précis, pour profiter des thermes et s’offrir une véritable toilette. C’était sans doute futile quand on avait un avis de recherche pour meurtre au-dessus de la tête, mais pour une jeune femme comme Jeanne, chez qui l’apparence avait toujours compté, surtout dans son travail, pouvoir se sentir propre et fraîche relevait d’un véritable sentiment de sécurité. Elle se sentait alors à nouveau humaine, à nouveau normale, et non pas comme une fuyarde crasseuse avec la sueur froide pour seule compagne.

Jeanne frappa à la porte les coups requis et attendit qu’elle s’ouvre en jetant un dernier coup d’œil sur les quais où elle ne sembla pas retrouver le garçon importun. Elle soupira de soulagement, à la fois pour la porte qui s’ouvrait et pour la disparition de son étrange suiveur. « Bonjour, Léontine ! » fit-elle avec ce sourire gêné dont elle n’arrivait jamais à se départir devant son amie. Car malgré tout, Léontine prenait des risques en la laissant entrer. « Excuse-moi, je suis un peu en avance mais…j’avais peur d’être suivie. » Jeanne se mordilla la lèvre en réalisant que ce n’était pas très rassurant comme entrée en matière. « Pardon ! Je dis un peu n’importe quoi, aujourd’hui… Merci encore de me permettre d’entrer ici », fit-elle avec sincérité. « Tout va bien ? »

Jeanne suivit Léontine alors qu’elle l’emmenait dans la petite salle vide qu’elle lui octroyait lors de ses visites. A chaque fois que la fuyarde rendait visite à son amie, son cœur se serrait. Peut-être son travail n’était-il pas si séduisant, peut-être y en avait-il des aspects peu agréables, pourtant Jeanne enviait cette place immuable, cette assurance de journées bien remplies, utiles et complètes. Cette perte de repères, d’habitudes et de sécurités offerts par le travail était ce qui manquait le plus à Jeanne dans cette vie de danger, d’incertitudes et de trépas probable. Par la main de la justice ou par celle plus aléatoire de la rue, des maladies et de la pauvreté. Entendre Léontine soupirer et la voir dans une posture piteuse à ce moment-là l’étonna. Pour Jeanne, Léontine était une bouffée d’air frais, une jeune femme qu’elle admirait pour son audace et cette impression qu’elle donnait de faire tout ce qu’elle voulait et comme elle l’entendait. Il y avait une telle confiance en elle chez elle, que cela impressionnait toujours Jeanne, qui avait cultivé la mesure et l’effacement durant toutes ses années de domesticité. A chaque visite de Mme Metzger aux thermes, Jeanne avait toujours envié ce pas conquérant chez Léontine, cette façon de se mouvoir, de tenir tête aux clients désagréables ou hautains et de ne pas se soucier de ce que les autres pensaient d’elle. Bien sûr, elle la savait être de la famille qui tenait les thermes et sans doute cela jouait-il. Mais elle savait aussi que Léontine aurait sans doute été la même si elle avait porté un tout autre nom.

La voir ainsi dans cet état, qui n’était pas sans lui rappeler ses propres atermoiements, l’inquiéta. Et plus encore les mots qu’elle prononça ensuite. Elle rejeta le « enfin bref » de Léontine en même temps que la serviette de toilette dont elle s’était emparée pour commencer ses ablutions et se tourna vers son amie, les sourcils froncés. « Comme cela, ‘ils t’ont relâchée’ ? » La jeune femme avait-elle eut un mot de trop auprès d’un riche client ? Pouvait-on se faire arrêter – car c’était bien ce qui était sous-entendu ici – pour un tel acte ? Pour Jeanne, qui avait été au service d’une femme tyrannique et retorse, un comportement de la sorte aurait sûrement motivé la venue de la maréchaussée pour l’intimider et lui faire réfléchir à deux fois à une telle insolence. Mais elle doutait que d’autres du même rang furent capables de faire la même chose…ou bien étaient-ils tous comme ça ? « Mais que s’est-il passé, Léontine ? »