(constance) douce vengeance

caractère ◇ on te connaît plusieurs personnalités, plusieurs traits de caractère qui vont et viennent selon l’habit que tu enfiles. Constance la commerçante est une femme souriante qui affiche toujours un visage à la fois bienveillant et avenant pour ceux qui mettent les pieds dans sa boutique. Éloquente et créative, elle sait séduire ses clients comme le lui a appris sa mère dès son plus jeune âge. Parce que ceux qui se sentent les bienvenus quelque part tendent à y revenir et que la survie de Morel Couture dépend de l’argent qui tinte dans les poches de ceux qui passent la porte. Constance la vraie, elle est souvent froide parce que l’impassibilité est la seule chose qui la protège de la tristesse incommensurable qui enserre son cœur. Elle est fière et ne baisse pas la tête lorsqu’on chuchote sur son passage. Elle est brutalement honnête, même lorsque la vérité fait mal, parce que l’hypocrisie lui pue au nez. Telle une bombe à retardement, elle laisse la colère et la rancœur macérer lentement en elle, sachant qu’un jour elle implosera pour tout détruire sur son passage.

place en société ◇ ton nom t’a hissée parmi la petite bourgeoisie de Paris. Les Morel ont travaillé à la sueur de leur front pour faire de leur boutique une enseigne reconnue par les riches dynasties parisiennes. Les hommes derrière les colonnes de chiffres et les femmes l’aiguille à la main. Tu as longtemps aspiré à faire autre chose. Ton mariage aurait dû te permettre de vivre autrement. Tu espérais que la place de ton mari dans l’affaire familiale t’aurait permis d’élever tes enfants et de mener la maisonnée d’une main de fer sans avoir besoin de travailler comme ta mère l’avait fait avant toi. Si seulement tu avais su… Tu abhorres désormais le terme de bourgeoise qui te colle à la peau. Ce mot qui te rapproche de ceux que tu aimerais voir disparaître et creuse un fossé entre toi et ceux que tu considères les tiens.

réputation ◇ on chuchote plusieurs surnoms peu flatteurs sur ton passage. Certains t’appellent la veuve noire, celle qui aurait empoisonné son époux pour éviter la disgrâce d’un divorce. Comme s’ils savaient quoi que ce soit sur votre vie intime… D’autres te prétendent ange de la mort, celle qui portera éternellement la couleur du deuil. Ils n’ont pas tort. Dans les dernière années, tu as trop souvent foulé le sol du Cimetière du Père Lachaise, que ce soit pour déposer des fleurs sur une tombe ou pour y enterrer un proche… D’autres encore te disent maudite, celle qui attire la malchance comme la flamme fascine les papillons nocturnes. Mais ça n’est pas le destin qui a jeté une malédiction sur toi… c’est l’empire. Et tu comptes bien t’en venger. Quoi qu’il en soit, tu es reconnue par les nobles et les bourgeois comme une couturière honnête et talentueuse dont ils aiment retenir les services pour le reprisage le plus simple comme pour la confection de tenues sur mesure.

lieu(x) fréquenté(s) ◇ dans les faubourgs, là où tu vis. Au bon marché du Triangle d’or, là où tu travailles. Au marché des enfants-rouges pour acheter des rouleaux de tissu tous les dimanches. Au Cimetière du Père Lachaise toutes les semaines pour déposer des fleurs sur la tombe de ceux qui sont partis trop vite. Tu vas et tu viens constamment, ne t’arrêtant jamais bien longtemps au même endroit.

journée type ◇ tu ouvres tes yeux dans le confort de ta petite maison des faubourgs. Quelques minutes suffisent pour t’habiller, retirer les bandes de tissu dont tu te sers pour boucler ta chevelure blonde et prendre quelques bouchées de pain sec avant de dévaler la rue pour monter dans le premier tramway venu en direction du triangle d’or. Morel Couture ouvre ses portes dès que 9 heures ont sonné sur le grand clocher de la cathédrale. Toute la journée, tu découpes, tu couds, tu assembles et tu reprises les vêtements des riches de ce monde, ceux-là même que tu abhorres pour tout ce qu’ils t’ont pris dans cette quête de l’immortalité. Toute la journée, tu les accueilles avec le sourire et un masque de bienveillance savamment feinte. Ils t’apprécient. Parce qu’ils ne peuvent pas lire les pensées qui défilent dans ton esprit. Lorsque 17 heures sonnent, tu retournes l’enseigne indiquant que la boutique est ouverte et tu reprends le premier tramway en direction des faubourgs où tu rentres dans une grande maison vide. Parfois tu te lèves avant le soleil pour te rendre sur la tombe de tes enfants et de ton époux. Pour verser quelques cristaux liquides en paix. Pour délester un peu de la tristesse qui pèse sur ton cœur. Cette même tristesse qui se mue peu à peu en colère.

rapport au vif argent ◇ il fut un temps où il piquait ta curiosité. Il fut un temps où l’espoir d’une vie éternelle a fait miroiter une lumière au bout d’un long tunnel. Mais cette quête du vif argent t’a tout arraché. La grisaille reste suspendue au-dessus de Paris parce que l’impératrice Céleste est trop occupée par son obsession pour ce vif argent qui est sur toutes les lèvres. Ce smog qui a volé tout leur souffle à tes deux bébés. Ce smog qui a empoisonné lentement ton Lucien. Cette pollution qui a infecté le corps des femmes pour laisser leur ventre vide pour toujours. Le vif argent ne guérira pas les malades. Le vif argent ne ramènera pas les morts. Et à quoi bon la vie éternelle si cette éternité doit être empreinte de solitude ?

spiritualité ◇ les Morel n’ont jamais été croyants. Les Gauthier ne l’étaient pas non plus. Tu t’es parfois surprise à prier silencieusement, à implorer le ciel de permettre à la vie de se loger dans ton ventre. Les années et les départs ont effacé ce début de foi qui était devenu tien. Parce que s’il y avait un Dieu, il ne permettrait pas de telles atrocités. Les pieux disent que leur dieu est miséricordieux, mais la miséricorde ne signifie pas permettre tant de souffrances, de malades et de morts.