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 Needle in the hay (avec Léopold)

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Needle in the hay (avec Léopold)     Dim 16 Aoû - 21:07

Needle in the hay

Needle in the hay (avec Léopold)  Femmes-dAlger-dans-leur-appartement-Delacroix


    La pensée l'obsédait depuis le matin, lorsqu'elle s'était rendue compte qu'elle avait épuisé toutes ses réserves, qu'elle n'avait plus rien à prendre pour se "soulager". C'est le terme qu'elle avait choisi pour ses addictions, des "soulagements". Nejma n'aimait pas les réalités trop brutes alors à défaut de pouvoir les changer, elle les adoucissait comme elle pouvait.

    Récemment, sa consommation était devenue quasi-quotidienne. On la voyait s'éclipser de son bureau ou de son atelier, parfois plusieurs heures, passer des nuits entières à travailler  et entamer ses journées dans un état proche de la catatonie, oscillant entre fatigue et excitation extrêmes. Ses absences et ses extravagances nourrissaient le courant de rumeurs qui abondait dans la maison, on soupçonnait, on savait probablement. Mais on préférait mettre ses crises sur le dos de l'artiste, "sa fureur créatrice", disaient-ils.

    Ce jour-là, ce n'était ni l'abus ni l'absence de drogues qui la tourmentait mais la peur de manquer. Elle était restée prostrée dans son bureau, les nerfs à vif, incapable de fixer son attention sur quoi que ce soit. La moindre chose était source d'angoisse et de colère, elle ne tolérait rien ni personne.  Rien d'autre n'émergeait de son esprit que l'envie de prendre quelque chose, n'importe quoi, du moment qu'elle n'était plus vraiment elle-même. Elle goûtait peu la lucidité, être confrontée à elle-même.

    Elle s'était résignée à glisser un mot à Léopold, prenant le prétexte d'un projet futur pour lui faire livrer une missive. Cet aveu de dépendance aggrava d'autant plus son état, si bien qu'elle rejoignit la maison de Ménilmontant en plein milieu de la journée. Le voyage fut pénible, elle ne supportait pas d'être dehors à Paris. Traverser le bloc de grisaille qui s'épaississait de jour en jour, s'étouffer à chaque inspiration. Elle avait Paris en horreur, les pavés des rues, les colombages des immeubles, les faces maladives des rares passants qu'elle voyait. Tout lui faisait horreur.

    Elle s'enferma dans sa chambre jusqu'à la nuit tombée, maudissant chaque minute qui passait, concentrant toute sa frustration sur Léopold qui ne venait pas. A sa fenêtre, elle guettait chaque mouvement, passait et repassait sur la même bande de parquet, s'asseyait puis se relevait, mangeait et regrettait d'avoir mangé, jurait puis s'enfermait dans un silence qui ne fut brisé que par la cloche de sa porte d'entrée.

    Elle ne réagit pas immédiatement. Non pas qu'elle n'avait pas entendu, la cloche sonnant très littéralement le glas de sa pénible journée, mais elle refusait de montrer et d'admettre qu'elle l'avait attendu, et que cette attente avait été longue. Ainsi passèrent quelques minutes sans qu'elle ne bouge, dans le noir le plus complet. Lorsqu'elle lui ouvrit, la cloche avait déjà retenti plusieurs fois."Te voilà, j'espère que personne ne t'a vu venir ici, je n'aimerais pas qu'on croit que nous sommes bons amis". Elle se dit que ses propos - bien qu'ironiques- n'avaient pas beaucoup de sens, il n'y avait que les ivrognes, les malades et les pauvres qui peuplaient Ménilmontant mais elle aimait rappeler qu'elle et lui n'appartenaient pas au même monde, et ce, même si son monde dépendait du sien pour survivre.

Léopold Garnier-Brissac

Léopold Garnier-Brissac
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Re: Needle in the hay (avec Léopold)     Lun 17 Aoû - 19:38


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Doucement le matin, pas trop vite l'après-midi, c'est son motto. Il ne sait pas bien ce que "motto" veut dire mais c'est pas grave, il déteste juste qu'on le presse. C'est ce qui arrive malheureusement quand un coursier lui remet en toute discrétion un petit mot de Nejma. C'est du blabla bon chic, bon genre, mais l'imprimeur sait. La petite est dans la dèche et c'est sa façon de lui dire de se bouger les miches pour venir la soulager. Sauf - sauf ! - que Léopold n'est pas attiré par les gonzesses et que ça lui fait ni chaud ni froid de devoir en retrouver une. Un haussement d'épaule balaie la requête de sa "cliente" tandis qu'il se remet au travail à son établi. Quand il arrange ses lettres d'acier, compose des unes de journaux comme un peintre une oeuvre, le monde s'évapore, se dissout. Plus rien n'existe.

La missive de Nejma reste froissée sur un bout de table pendant que l'imprimeur s'active, lentement, lentement. En milieu d'après-midi il prend sa pause quotidienne, assis sur les trois-quatre marches qui descendent dans son atelier depuis la porte d'entrée. Ses yeux, orageux, se posent sur la boule de papier qui lui rappelle qu’il est temps de s'évader un peu. Dans sa poche, une fiole d'éther est prête à être consommée. Léopold l'ouvre, comme un enfant ouvrirait un paquet de bonbons tout neuf, et inhale cette substance bénie du ciel qui rend le monde moins rasoir. L'euphorie pointe vite le bout de son nez et l'imprimeur retourne travailler en sifflotant, un brin bancal. Quelques convulsions se font ressentir mais se calment bien vite – les bonnes choses ont toujours un petit effet secondaire, c’est la vie.

La journée s'écoule et Léopold oublie à nouveau Nejma. Il faut dire que l'éther est un amant plutôt jaloux qui ne supporte pas la compétition : il faut se dédier à lui, entièrement à lui, et c'est ce que fait notre homme presque chaque jour de sa vie. Lorsque le soleil commence à plonger derrière les immeubles fantomatiques, parés du smog blanchâtre, l'imprimeur comprend qu'il est temps de fermer boutique et d’aller rejoindre sa compagne de débauche. Dans son sac, plusieurs fioles d’éther et de pypthur, toutes neuves, sont rangées dans un petit étui en fer. Celles-ci sont destinées à la revente – à Nejma, donc – et obtenues par des moyens peu reluisants. Une deuxième boîte contient ses propres outils, dont une seringue et d’autres fioles : c’est quand même plus poli d’accompagner les clients qui consomment en sa présence, tout de même.

L’atelier ferme, les volets dans les rues au dessus de lui également. Les gens se pressent, vont et viennent en masse, malades, ivres ou drogués, mais surtout pauvres et crasseux. Léopold prend son air le moins avenant lorsqu’il traverse Paris car cette saloperie de ville ne mérite ni son sourire, ni sa joie de vivre. Les mains dans les poches de son pantalon en velours côtelé probablement plus vieux que Nejma, il sonne à sa maison de Ménilmontant. Son œil glisse sur les briques noircies des bâtiments qui l’entourent, sur les clodos qui peuplent la rue. Quel quartier de merde. L’homme sonne, une fois, deux fois. Tape du pied – c’est elle qui lui a demandé de venir, bon sang de foutre. La porte s’ouvre alors sur la gourgandine qui ose lui faire traverser les faubourgs en fin de journée.

« Te voilà, j'espère que personne ne t'a vu venir ici, je n'aimerais pas qu'on croit que nous sommes bons amis »

Léopold lève un sourcil et lui passe sous le nez pour entrer dans sa grande baraque.

« Faudrait encore que t’en aies, orchidoclaste de mes genoux. » Son sourire en coin trahi pourtant l’ironie moqueuse qui le caractérise tant. Il l’aime bien, Nejma, quand même. C’est pas l’amitié du siècle, c’est sûr, mais y’a un truc qui va bien entre eux – la drogue, sans doute. Ou l’envie de se détruire à petit feu, qui sait ?

Léopold jette un coup d’oeil à l’intérieur de la fameuse maison Seyrig et se permet un petit sifflement appréciateur. « Joli p’tit cocon, minette. Alors, tu m’as fait venir pour prendre le thé ? Ou pour profiter de mon adorable compagnie, peut-être ? »

Les mains dans les poches, il déambule l’air de rien dans le couloir, passant au crible le moindre objet décoratif, la moindre miette d’info sur son hôtesse – qui n’a pas l’air d’aller très bien, d’ailleurs. Les bourges, j'vous jure.
 
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