CONTEXTE ◇ vif argent.

Administration

vif argent
Paris, 1941.

« Eiffel Première, plateforme inférieure. » annonce le pilote à l'intention de l'ensemble des passagers de l'aérostat. L'homme attrape la valise laissée à ses pieds et réinstalle son chapeau de feutre noir sur le haut de son crâne. Il accède au quai, non sans un regard au-dessus de son épaule : il ne semble pas suivi. Il a veillé à obéir à l'ensemble des consignes, et se met désormais en quête de la femme à la cape pourpre. Il la repère sans difficulté : elle est accoudée sur le garde-corps, comme perdue à la contemplation de la ville grise sous eux. Sa coiffe haute et fleurie la distingue de la foule. Pas vraiment son idée de la discrétion, mais les ordres sont catégoriques, et il s'avance vers elle. Parcouru d'un tressaillement, il se laisse aller à une minutieuse inspection. Sa robe de taffetas au corsage tressé et son maintien ne laissent aucune place au doute quant à son origine sociale, et le symbole qui orne sa nuque ne saurait mentir : une mercurienne. Il réajuste son couvre-chef machinalement, lui qui n'est qu'un pauvre vagabond, avant de la saluer. Sur l'épaule de la femme, un singe d'or et de cuivre fait cliqueter ses rouages en tournant la tête, avant de poser sur lui des yeux en émeraudes. L'homme fronce des sourcils désapprobateurs avant de se tourner vers elle, faisant mine d'ignorer l'animomate. « N'ayez crainte, il est apprivoisé. » elle lance, visiblement consciente de l'effet de la créature, dont les semblables n'ont pas bonne presse dans les bas-fonds de la ville. Il hausse les épaules, toujours perplexe, mais se garde bien de faire des vagues. Moins on le remarque, mieux il se porte. Il note alors la peau opalescente, presque transparente, de son interlocutrice, mais aussi ses joues émaciées. Il y reconnaît les signes qui ne trompent pas, pour les avoir si souvent rencontrés. Elle souffre, il pense, et soudain il devine ce que contient la mallette : le plus précieux métal de toute la ville. « Vous l'avez ? » S'impatiente-t-elle, et il acquiesce, toujours mutique, sans faire le moindre geste. Leurs regards se croisent, et elle comprend. D'une bourse, elle extirpe plusieurs pièces d'or, bien plus que le simple coût de la course. Sa main gantée de velours glisse les francs dans la paume caleuse de l'homme, qui, en retour, lui tend la valise. Il hoche la tête en guise de remerciement et fait volte-face, avant de plonger dans la nappe de fumerolles sombres qui recouvre la cité.

Paris, 1941. La ville est noyée sous un épais smog de cendres et de poussières. L'heure est à l'avènement du charbon et de la vapeur, emportant avec eux toute vie végétale et animale, à l'exception de quelques spécimens que l'on maintient sous cloche pour le bon plaisir des plus fortunés. Les résidus gris se nichent partout, souillant les rues et encrassant les poumons. Sous le règne de l'Impératrice Céleste, digne héritière autoritaire de Napoléon, nulle science, nulle croyance, ne saurait servir une autre cause que la sienne. A l'aube du vingtième siècle renaît alors une obsession millénaire : la vie éternelle. Une armée d'alchimistes et de scientifiques œuvrent jour et nuit à l'obtention de l'élixir miraculeux, tandis que d'autres, tapis comme des cafards, tentent de sauver le peu d'humanité qui subsiste. Entre deux, dans les faubourgs ternes et souffrants, on tente tant bien que mal de s'en sortir, les mains couvertes de suie et les cœurs endurcis, le sang comme du métal liquide. Au fond, tout le monde cherche la même chose, et ici, cette chose s'appelle vif argent.

» goodbye vif argent
» L'orme et l'argent
» LEXIQUE ◇ parler le 'vif argent'
» VIF ARGENT ◇ du mercure en alchimie