Élise se retint de laisser échapper un énième soupir exaspéré, ramenant du bout des doigts l’une de ses boucles brunes dans le rang de son haut chignon. L’esthétisme demeurait une notion futile qui ne cesserait jamais de lui paraitre obscure. Les apparences lui importaient peu, pour la femme de science qu’elle était, les faits se dévoilaient être bien plus parlant. Néanmoins, même si cela l’embêtait, elle comprenait l’importance du physique et de l’image qu’on pouvait renvoyer à autrui. Elle comprenait d’autant plus que son sexe lui proférait quelques facilités avec la gent masculine. Un sourire bien placé, un regard en coin aguicheur, et il n’était pas rare qu’on lui offre ce qu’elle désirait.
Pratique. Et pathétique.
Heureusement, Camille restait parfaitement insensible à ce genre de… stratagème. Élise n’aurait jamais eu la patience de savoir son frère aux prises des charmes de toutes les donzelles qui venaient à la boutique, simplement pour ses beaux yeux. Elle plaignait sincèrement ces jeunes femmes, Camille ne semblait simplement pas les voir. De toute façon, ni lui, ni elle, n’étaient doués pour les choses aussi dérisoires que l’amour.
« J’espère bien que ce sera la dernière fois, déclara-t-elle soudainement en terminant de boutonner son manteau. Tu sais que je n’ai guère de patience. — Pour ? »
Nonchalamment adossé contre le levier de leur cuisine au bordel organisé, Camille portait distraitement une tasse de thé à ses lèvres, le nez plongé dans un livre. Arquant un sourcil, elle se tourna dans sa direction.
« Crois-tu que ce soit un jeu ? — Non. Je crois que tu penses que ce soit un jeu ? Élise leva les yeux au ciel. — Ce n’est pas le moment pour de la sémantique, mon cher frère. »
Camille posa sa tasse de thé, un grand sourire sur son visage tandis qu’il s’approchait de sa sœur, déposant un rapide baiser sur son front.
« Il y a toujours un temps pour de la sémantique, ma chère sœur. Ou bien est-ce : il y aura toujours un temps ? Il y aurait… ? Amusée malgré elle, Élise lui administra un léger coup de coude dans les côtes. — Malin. — Être malin c’est pour les autres. Prête ? Demanda-t-il soudainement en lui offrant son bras. — Évidemment. »
Machinalement, avec la force de l’habitude, elle passa une main sous son bras, tous deux sortant du Lumignon Blanc qui abritait leurs appartements dans les étages supérieurs. Élise salua poliment et avec la retenue qui était sienne les voisins qui, plus la plupart, ne cessaient de les dévisager avec circonspection. Leur réputation les précédait, de toute évidence. Non que cela la dérange en quoique ce soit, Elise était de ceux qui faisaient fi de ce qu’on venait à penser d’elle.
A son bras, Camille semblait bien plus joyeux.
Tout en se dirigeant vers l’une des bibliothèques de la ville, située dans le Triangle d’Or, les jumeaux se lancèrent dans un débat animé concernant l’hypothèse de la tartine beurrée : retombait-elle systématiquement sur le côté beurre/confiture ? L’humeur d’Elise retomba légèrement devant la façade de la bibliothèque.
« Tu sais ce que tu dois faire, hm. »
Une inspiration.
Elle se redressa sensiblement, relevant le menton tandis qu’elle pénétrait dans les lieux. Ils montèrent à l’étage des ouvrages scientifiques et notamment dans la partie… uniquement réservé aux scientifiques travaillant pour l’Impératrice. Autrement dit, un secteur qui leur était interdit. Immédiatement le regard d’Henri, le jeune bibliothécaire se posa sur elle, et son visage s’illumina.
« Mademoiselle Reichardt. »
Elise se figea, la commissure de ses lèvres s'esquissant en un sourire éclatant — et pourtant si rare.
« Henri ! S’enthousiasma-t-elle en délaissant son frère, afin de porter toute son attention sur elle. Je suis heureuse de vous voir. Vous êtes seul aujourd’hui ? Rougissant, le jeune homme esquissa un léger sourire embarrassé. — Oui. Pour l’après midi uniquement. »
Élise posa une main sur comptoir, se penchant sensiblement dans sa direction.
« Tant mieux, je vous aurais que pour moi donc. J’aurais besoin de votre aide. »
Le pauvre Henri rougit davantage ce qui lui arracha un sourire bien plus sincère. Le bibliothécaire se leva, faisant le tour de son comptoir pour lui faire, Elise posa gentiment une main sur son avant-bras, lui désignant une allée plus loin. Détournant ainsi l’attention de Camille qui se faufilait aussi discrètement que possible derrière les grilles du secteur interdit.
Ils avaient besoin de cet ouvrage.
Un léger grincement métallique retenti et Henri s’apprêta à tourner la tête vers Camille.
« Souhaitez-vous prendre le thé avec moi ? »
La question lui échappa sans même qu’elle s’en aperçoive. Henri écarquilla le regard, toute son attention vers elle. Faisant bonne figure, Élise lui adressa un léger sourire crispé, lançant une œillade par-dessus l’épaule d’Henri.
Camille venait de se faufiler sans encombre.
« Vraiment ? »
Ah. Après tout, la science méritait tous les sacrifices.
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